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​Beatrice di Tenda au Teatro Carlo Felice de Gênes – Service minimum – Compte-rendu

 
Naples, Paris et Gênes viennent de réparer une injustice en programmant Beatrice di Tenda avant-dernière partition, mal aimée, de Bellini. Il était temps car l’œuvre sans égaler Norma, Sonnambula ou I Puritani est de belle facture et l’auteur plus aventureux, plus visionnaire s’y montre particulièrement inspiré comme il eut le temps de l’être dans son étrange mais ambitieuse Straniera, sans doute chacune à leur manière en avance sur leur époque. Sur un livret certes sans enjeu, ni surprise – mais après tout Verdi aussi quelques années plus tard produira des chefs-d’œuvre à partir d’intrigues abracadabrantes – Bellini confectionne une tapisserie aux points savants et aux harmonies singulières, une fois de plus centrée sur le chemin de croix d’une héroïne injustement accusée et condamnée à mort. Créée comme Sonnambula et Norma par l’une des plus illustres cantatrices du moment, la Pasta, le rôle de Beatrice est majeur et fait la synthèse entre l’ample registre demandé à Norma et les grâces élégiaques d’Amina.

En concert à Naples en septembre dernier (disponible en streaming sur youtube) Jessica Pratt, au somment de ses moyens, s’y est montrée étincelante mettant sa virtuosité au service d’une figure dont la profonde humanité se dégage du profil tragique qui lui est assigné. Technicienne moins agile, Tamara Wilson pour ses débuts dans le rôle à Paris en février dernier dans la décevante production de Sellars (1), n’en était pas moins touchante malgré une tessiture qui lui échappait en partie. Restait donc à retrouver l’américaine Angela Meade qui s’était déjà mesurée au personnage en 2012 avec un certain succès. Que le temps soit passé sur son instrument et ai laissé quelques stigmates est une chose, mais que la soprano hier encore concernée (Ermione au TCE en 2016) en soit arrivée à un tel niveau d’indigence à de quoi laisser perplexe.

 

Francesco Demuro (Orombello) © Teatro Carlo Felice

Inexistante sur le plan scénique, Angela Meade semble dès son entrée extérieure à son rôle, au public et plus que tout à son devoir de cantatrice. Est-ce par rébellion contre la direction du Teatro Carlo Felice, son metteur en scène Italo Nunziata (à court d’idée il est vrai, illustrant avec la plus affligeante des naïvetés cette intrigue signée Felice Romani), ou à son chef, l’excellent Riccardo Minasi (à la tête de l’orchestre de l’Opéra conduit avec un sens du drame exemplaire, un cantabile des plus souples et de subtiles couleurs qui traduisent une grande adéquation) que Mme Meade a délibérément choisi de ne faire aucune ornementation, de ne produire aucun aigu, de n’effectuer aucune reprise et de donner le sentiment de s’ennuyer ferme, le visage résolument inexpressif à l’aune de son chant proche du service minimum ?
 

Riccardo Minasi © Nancy Horowitz

Une telle attitude est tout simplement inadmissible ; si cette dernière ne souhaitait pas rejoindre cette production elle n’avait qu’à s’en retirer plutôt que de faire subir sa désapprobation à un auditoire qui ne méritait pas pareil traitement.
Remplaçant Sonia Ganassi initialement prévue, Carmela Remigio est oubliable en Agnese abordée sans grâce, tandis que Francesco Demuro fait peine à entendre en Orombello qu’il se plait à hurler d’une voix au métal excessif, là où Pene Pati nous avait enchanté sur la scène de la Bastille.
 

Mattia Olivieri (Filippo) © Teatro Carlo Felice

Par chance le baryton Mattia Olivieri incarne Filippo : son élégance naturelle et son jeu plein de noblesse ont racheté cette représentation. Son grain de voix et sa texture délicate, la qualité de son phrasé, son style et sa projection auraient suffi à nous contenter, mais le baryton italien ne se satisfait de ces atouts et soigne l’interprétation de ce personnage en dessinant avec précision les moindres linéaments de son âme définitivement noire. C’est lui le grand triomphateur de ce spectacle, avec les chœurs et la souveraine direction de Riccardo Minasi dont nous nous souviendrons, en dépit de la présence inconvenante du rôle-titre.
 
François Lesueur
 

(1) www.concertclassic.com/article/beatrice-di-tenda-lopera-bastille-la-sequestree-de-binasco-compte-rendu

Bellini : Beatrice di Tenda – Gênes, Teatro Carlo Felice, 22 mars 2024  // www.teatro.it/teatri/carlo-felice-genova-cartellone

Photo © 

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