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​Une interview de Didier Schnorhk, Secrétaire Général du Concours de Genève – A l’écoute du monde musical et des lauréats

 

Comme tous les ans, à l’automne prochain, le Concours de Genève – le 78e – attirera l’attention des mélomanes et acteurs du monde musical, cette fois dans les domaines du Chant et de la Composition. A l’approche de la fin des inscriptions (17 avril pour le Chant, 29 mai pour la Composition), Concertclassic donne la parole à Didier Schnorkh (photo), Secrétaire Général de la compétition suisse. Célèbre et solidement installée dans le paysage des concours internationaux, elle sait évoluer pour mieux prendre en compte les réalités de la vie musicale internationale et répondre, de manière aussi pragmatique que personnalisée, aux besoins de ses lauréats.
 
 
Notre précédent entretien remonte à la fin de la crise sanitaire, moment plein de doutes et d’interrogations. Comment un concours de musique tel que celui de Genève s’est-il adapté et a-t-il franchi cette période hors-normes ?
 
Je suis parti de deux réflexions de fond. Il est d’une part nécessaire de prendre en compte les évolutions technologiques, notamment l’utilisation par tous les musiciens des outils vidéo – de façon extrêmement diverse, variée d’un point de vue qualitatif – durant la période du covid. La chose en soi ne m’a pas passionné outre mesure, mais on doit se rendre à l’évidence : ces outils sont désormais nécessaires pour se faire connaître. Tout le monde l’a intégré, d’une façon ou d’une autre ; tous les jeunes musiciens qui se lancent dans une carrière de soliste doivent maîtriser cela.
D’autre part, pour les jeunes musiciens qui arrivent sur le marché après la période du covid, la difficulté est de faire sa place face à des gens qui étaient déjà là auparavant. Les jeunes les plus doués et les plus médiatisés n’ont pas trop de soucis à se faire mais, pour l’immense majorité les choses sont compliquées.

En prenant ces deux réflexions ensemble, le rôle d’un concours de musique tel que je le conçois est d’écouter le monde tel qu’il est et de favoriser l’entrée de la jeune génération sur un marché professionnel qui évolue. Diverses solutions sont envisageables. J’ai pour ma part fait le choix de dire aux jeunes musiciens : faites un récital en vidéo, montrez que vous savez le faire, faites ce que vous voulez – soyez des artistes –, envoyez-nous un concert filmé. Il est des considérations écologiques absolument incontournables aujourd’hui pour le monde culturel et cette solution me paraît préférable à celle consistant à faire venir des candidats de tous les coins du monde pour jouer quinze, vingt minutes ou même une demi-heure, alors que l’on dispose de tous les moyens techniques pour les juger autrement. Il est évident que ce n’est pas le même jugement et que le jury aussi doit intégrer cet aspect.
Quant aux candidates et candidats – six, huit ou dix selon les disciplines – que nous nous invitons à Genève, nous prenons le temps avec eux. Ce sont en quelque sorte des happy few que nous voulons connaître sous toutes leurs facettes afin de savoir s’ils sont dotés des outils artistiques, musicaux et personnels qui leur permettront de faire leur place dans le monde – assez compliqué – de la musique.
 

Le Novo Quartet, 1er Prix du Concours de Genève 2023

 
Savoir ce que les candidats ont « dans le ventre »

 
Comment se structurent épreuves au stade de la demi-finale ?
 
Nous demandons aux candidats de jouer deux récitals et aussi de présenter un projet. C’est la grande nouveauté issue de la réflexion menée pendant la période du covid. Un projet que, si le candidat gagne le concours, nous l’aidons à réaliser. La présentation du projet est un moyen de savoir ce que les candidats ont « dans le ventre ». C’est une chose nouvelle aussi pour le jury, que j’incite à profiter de ce moment pour avoir une rencontre avec les musiciens hors de leur instrument et de la scène, et pour mieux comprendre leurs personnalités.
 
 
Revenons au récital enregistré qui tient donc lieu d’épreuve éliminatoire. Il est en place depuis 2021 : quel bilan tirez-vous des trois années écoulées ?
 
Dans un monde idéal, le récital en vidéo pourrait se passer un petit peu différemment ;  on pourrait rêver d’une équité parfaite, avec l’utilisation du même matériel, de salles identiques. Mais je ne peux évidemment pas envoyer des équipes de tournage partout dans le monde ou alors, autant que les candidats viennent tous à Genève. Nous leur donnons toutefois un cahier des charges technique qui permet d’équilibrer les choses. Et puis, il faut tenir compte du fait que 90% des gens qui s’inscrivent à un concours international de musique sont élèves dans une école supérieure de musique – conservatoire, Hochschule en Allemagne, etc. – et disposent en principe d’un cadre adapté à la réalisation de leur vidéo.
Nous leur demandons un récital de 45 minutes, en une seule prise, dans les conditions du concert (tenue, saluts, etc.). Il n’est pas interdit d’enregistrer en public, l’important est que le cahier des charges soit respecté. En complément, nous leur demandons de fournir une petite vidéo selfie, dans leur langue, afin de se présenter.
Je suis globalement satisfait de l’épreuve vidéo. Nous avons parfois eu des enregistrements de qualité insuffisante, mais je ne pense pas que nous ayons éliminé des gens pour ce motif. Les jurés visionnent les vidéos chacun de son côté et nous nous retrouvons par visio-conférence pour discuter. Idéalement, j’aimerais pouvoir réunir le jury dans une salle et visionner collectivement les vidéos, mais c’est extrêmement compliqué à mettre en place, pour des questions d’agenda, etc., et cela suppose des coûts importants. Le récital vidéo est en tout cas définitivement intégré.

Un changement est en revanche à signaler pour la présentation du projet artistique, épreuve qui n’a été mise en place qu’en 2022, et qui a donc concerné le piano cette année-là, puis la flûte et le quatuor cordes l’an dernier. Jusqu’ici l’épreuve, menée par une journaliste, était filmée et montrée ensuite au jury. Système un peu lourd et coûteux. A partir de cette année, l’épreuve aura lieu en live, toujours en présence d’une journaliste (qui aura eu connaissance des projets et orientera ses questions en fonction de ceux-ci), devant le jury – qui n’interagit pas avec les candidats ; il ne s’agit pas d’un tribunal ! – et sera publique.
Ceci remédiera à la frustration du public qui, jusqu’à présent, entendait parler de la présentation de projet sans pouvoir concrètement voir en quoi elle consiste. J’ajoute enfin que, depuis le lancement de l’épreuve en 2022, les candidats sélectionnés pour la demi-finale bénéficient de trois séances en zoom durant le mois qui précède leur venue à Genève pour comprendre ce que nous attendons d’eux et affiner leur projet. Des séances auxquelles participent notre agente, Eugénie Guibert, et Andreas Vierziger, un curateur et chef de projet autrichien, qui a une vision innovante de la culture et sait pousser les jeunes musiciens un peu en dehors du « cadre ».
Je suis extrêmement heureux de cette épreuve ; je constate – et m’en réjouis ! – que certains concours vont d’ailleurs reprendre notre initiative.
 

Elizaveta Ivanova, 1er Prix du Concours de flûte 2023

 
Un suivi « cousu main » 

 
Gagner le Concours de musique de Genève est une chose formidable, mais qu’en est-il du suivi des lauréats après leur victoire ?
 
Il y a un bon moment déjà que nous avons mis en place un programme pour l’après-concours. 1er, 2e ou 3e Prix, tous les lauréats bénéficient d’un service d’agence pendant deux ans – reste qu’il est évidemment plus facile de vendre un 1er Prix qu’un 3e Prix ... Certains musiciens sont beaucoup plus faciles à vendre que d’autres –  tout cela n’est pas une science exacte.
J’ai choisi de travailler avec Eugénie Guibert car son agence (Sartory), par son format, permet d’entretenir une relation personnelle avec les lauréats. Elle leur offre du « cousu main » et c’est exactement ce que nous recherchons.
Pendant les deux années qui suivent le concours nous aidons les lauréats à définir ce qui sera la meilleure voie pour eux. Certains jeunes musiciens peuvent remporter un concours, mais découvrent ensuite qu’ils n’ont pas une vocation de soliste, certains instrumentistes à vent peuvent aspirer à entrer dans un grand orchestre symphonique, certaines pianistes envisagent de se présenter à d’autres concours… Chaque cas est particulier, différent et nous faisons en sorte de répondre au mieux aux besoins des uns et des autres.
 
Autre point important, un peu avant la période correspondant à la crise sanitaire nous avons mis en place un programme d’ateliers professionnels. Il s’agit de mêler d’anciens lauréats du concours, des élèves de la Haute Ecole de Musique de Genève (avec laquelle nous collaborons) et, éventuellement, des personnes qui nous sont recommandées par divers établissements, telle l’Ecole Normale de Musique-Alfred Cortot. L’important étant de regrouper des musiciens se situant tous à un niveau de soliste international. Nous les réunissons pendant trois, quatre ou cinq jours, selon le format adopté et les moyens dont nous disposons, et nous leur parlons de tout sauf de musique : le management, la construction d’un projets, la communication, les questions relatives aux contrats, au droit à l’image – et à la façon de gérer celle-ci sur les réseaux sociaux.

 
Les produits dopants : une réalité incontournable

 
Des coachs professionnels sont présents dans toutes les disciplines et les journées ponctuées d’ateliers pratiques, de conférences, etc. Les questions de santé sont également abordées : le stress, la fatigue, la nourriture, mais aussi les produits dopants (psychotropes, drogues, excitants). Il faut impérativement en parler car c’est une vraie réalité chez les jeunes musiciens - les établissements d’enseignement musical, preuves à l’appui, sont en train d’en prendre conscience, et ... tombent parfois des nues ! – avec tous les dangers que cela suppose à terme.
D’une année l’autre, les ateliers ne sont pas identiques et, depuis deux ans, le Concours de Genève s’est associé à d’autres structures : les Rencontres musicales d’Evian ou La Bel
le Saison – dirigée par Antoine Manceau – qui travaille énormément avec de jeunes musiciens. Avec La Belle Saison nous avons d’ailleurs créé – avec le soutien de la Fondation Safran - une association, baptisée CROCUS. L’idée étant de regrouper des structures qui œuvrent dans la même direction afin de mettre en réseau nos intervenants, ce qui permettra des économies d’échelle. C’est un projet qui va se construire petit à petit.

Le chant et la composition figurent au programme du Concours 2024. A quand remonte la dernière édition où le chant était présent ? Quelle sera la composition du Jury 2024 ? Des innovations interviennent-elle dans la structuration des épreuves ?
 
C’était en 2016 et Marina Viotti figurait parmi les lauréats. Elle m’a d’ailleurs confié que c’est après avoir gagné le Concours de Genève qu’elle a réalisé qu’elle pouvait entreprendre une carrière de chanteuse lyrique et à s’y engager totalement.
Le jury sera cette année présidé par Patricia Petibon et réunira André Comploi (Scala de Milan), Aviel Cahn (Grand Théâtre de Genève), Jean Denes (Théâtre de Bâle), Sophie de Lint (Opéra d’Amsterdam), la pianiste Susan Manoff et Waltraud Meier.
Pas de grande modification dans l’organisation des épreuves : on aura un récital opéra, d’une demi-heure, comprenant cinq ou six airs ; aucune obligation, si ce n’est de chanter dans différentes langues (l’opérette, la zarzuela sont autorisées), et un second récital uniquement occupé par le lied et la mélodie, avec l’obligation de chanter une pièce écrite par une compositrice entre 1900 et 1940. Le mouvement en faveur de la redécouverte de tout ce pan du répertoire doit à mon sens être impérativement pris en compte. Quant à la finale (le 22 oct), chaque candidat devra chanter trois airs sur la scène du Grand Théâtre, accompagné par l’Orchestre de la Suisse Romande (dir. Alevtina Loffe) en fosse –  dans de vraies conditions d’opéra donc.

 

Pascal Dusapin, président du Jury Composition 2024 © Christophe Abramowitz

 
Le concerto pour alto au menu de l’épreuve de Composition

Outre le chant, le Concours 2024 comporte un volet composition : comment les choses s’organisent-elles en ce domaine ?
 
Pascal Dusapin présidera le jury. Je suis très heureux qu’il ait accepté. Il avait déjà été présent lors du Concours 2015 et nous nous étions très bien entendus. Les candidats seront invités à écrire un concerto pour alto et orchestre de chambre. En 2025, le Concours sera consacré à l’alto et la pièce primée cette année figurera parmi les ouvrages imposés – Tabea Zimmermann présidera le jury. Les inscriptions en composition seront closes en mai ; nous réunirons le jury en juin : les trois pièces sélectionnées seront jouées en octobre par l’Orchestre de Chambre de Genève, sous la direction de Pierre Bleuse et avec trois solistes : Adrien La Marca, Lise Berthaud et Georgi Kovalev.
 
Quel sera l’autre volet du Concours 2025 ?
 
Il est un peu trop tôt pour en parler, mais il y a fort à parier que du nouveau intervienne ...
 
Propos recueillis par Alain Cochard le 9 février 2024

Concours de Genève : www.concoursgeneve.ch/
 
Photo © A.-L. Lechat
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
  
 
 
  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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