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Une interview du Quatuor Agate – Brahms, à la folie !

 

 
Formé en 2016, le Quatuor Agate a choisi son nom en référence au Sextuor n° 2 op. 36 de Johannes Brahms, œuvre dédiée au second amour du compositeur : la chanteuse Agathe von Siebold. L’attachement des jeunes instrumentistes (Adrien Jurkovic, Thomas Descamps, Raphaël Pagnon et Simon Iachemet) à cet auteur s’est confirmé au moment de déterminer le programme de leur premier disque : les trois quatuors à cordes – un double album qui vient de paraître chez Appassionato-Le Label. C’est dire à quel point la symbolique de ce très bel enregistrement est forte pour ses interprètes.
Un concert, le 18 mars au théâtre de l’Atelier, en marque la sortie, un peu avant que le artistes n’entreprennent une tournée à Hawaï, début avril. Après l’Allemagne et le stART Festival de Leverkussen le 20 avril, on les retrouvera lors de la soirée Appassionato-Le Label, le 30 avril à la salle Gaveau (1), entourés de talentueux collègues et amis (Gabriel Le Magadure, Frank Braley, Charlotte Saluste-Bridoux, et Pauline Chenais), puis dans le cadre du La Brèche Festival (Aix-les-Bains, 3-10 mai) et enfin, le 23 mai, pour un original programme avec la soprano Julie Fioretti et un groupe de jeunes choristes en clôture des 3 saisons de La Plaine. Concertclasssic a profité de cette riche actualité pour rencontrer Thomas Descamps et Simon Iachemet, respectivement 2violon et violoncelliste du Quatuor Agate.

 
 
Votre quatuor entretient une relation particulière avec Brahms ...
 
Thomas DESCAMPS : Oui, tout à fait. La première œuvre que nous avons travaillée est le Sextuor n° 2 Cet amour pour la musique de Brahms demeure depuis le commencement de notre parcours. Autant dire que le choix de ce compositeur et de ses trois quatuors s’est rapidement imposé pour notre premier disque
 
L’intense bonheur que vous éprouvez à le jouer se ressent en tout cas dès les premières mesures du Quatuor n° 1 ...
 
Simon IACHEMET : Ce bonheur vient du fait que nous avons énormément travaillé cette musique très complexe, du point de rythmique entre autres. Ces œuvres ne sont pas les plus populaires dans la production de Brahms. Elles requièrent une grande hauteur de vue. Difficile de trouver la bonne manière d’aborder des compositions qui, à l’encontre des clichés associés à Brahms, nous paraissent lumineuses, loin des brumes nordiques souvent attachées à son nom. Et ce qui nous fascine chez ce compositeur est aussi son rapport à la nuit. Nous avons d’ailleurs tenu à évoquer ce caractère nocturne dans les photographies qui accompagnent notre album.
 

La musique de chambre chez Brahms, c’est une vingtaine de chefs-d’œuvre, composés pour des formes souvent différentes  ...
 
S. I. : Oui, seulement trois quatuors. On sait que Brahms a énormément « jeté ». Et il y avait bien sûr l’ombre beethovénienne. Et peut être se sentait-il moins à l’aise dans le quatuor qu’avec le quintette ou le sextuor. On a l’impression d’une quête sans fin ...
 
Une quête comparable celle du quartettiste ?
 
T.D. : Effectivement ; nous sommes constamment à la recherche du son qui nous conviendra. Même après un travail très long et très intense, nous parvenons à trouver une liberté interprétative lorsque nous nous retrouvons sur scène. La marge de liberté provient de la salle, de l’atmosphère, du public, de la manière dont on va « dire » un texte à l’occasion d’un concert. Reste que parfois cette marge de manœuvre, cette liberté peuvent être minimes ; on va étirer un temps, lancer brièvement une idée, qui va bouleverser nos « habitudes ».
 
Parlez nous du concert que vous allez donner le 18 mars au théâtre de l’Atelier à l’occasion de la parution de votre album. On vous y retrouvera en compagnie de  Léa Hennino, Caroline Sypniewski, Agathe Peyrat, Bertrand Laude et Pierre Cussac.
 
S.I. : Nous sommes très heureux de pouvoir jouer dans cette si belle salle qui, de surcroît, n’est pas dévolue habituellement au concert. Nous nous produirons aux côtés d’interprètes que nous aimons particulièrement, dans des pages de Brahms, mais également dans La Nuit Transfigurée de Schoenberg, compositeur dont on sait l’admiration pour la musique de Brahms.
 

© Kaupo Kikkas
 
Du reste, vous interprétez dans votre enregistrement, une transcription (par Raphaël Pagnon, votre altiste), de l’Intermezzo op. 118 n°5 pour piano. Ainsi arrangée, cette Romanze évoque irrésistiblement La Nuit Transfigurée ...
 
T.D. – Jouer des œuvres transcrites pour le quatuor est une chose dont nous raffolons. Le programme du 18 mars, comprendra aussi des transcriptions de lieder. Le fait de jouer cette musique en quatuor lui donne une couleur que nous adorons.
 
Comment construisez-vous votre répertoire ?
 
T.D. : Plaisanterie mise à part, les concours internationaux nous ont permis d’élargir considérablement celui-ci. Le cœur de notre répertoire, ce sont bien sûr les quatuors de Haydn, mais notre formation dispose d’une littérature tellement riche et considérable…
Et puis, nous avançons en fonction de nos coups de cœur. Je me souviens encore du choc que j’avais éprouvé, enfant, en écoutant le Quatuor « La Jeune fille et la Mort » – un disque du Quatuor de Jérusalem que mes parents m’avaient offert. Une formation que le Quatuor Agate a rencontrée par la suite ; nous avons même joué l’Octuor en Mendelssohn ensemble au cours d’un festival.
 
En créant votre quatuor, en 2016, vous pensiez à un son en particulier ?
 
S.I. : Deux quatuors nous ont beaucoup influencés : les Belcea et les Ebène. Leur son nous bouleverse. Et nous avons d’ailleurs travaillé avec Raphaël Merlin, ancien violoncelliste du quatuor Ebène. Mais bien d’autres quatuors nous émeuvent : les Amadeus, les Berg, etc.
 
Comment travaillez-vous une fois que vous avez décidé de monter telle ou telle œuvre ?
 
T.D. : Chacun travaille individuellement, avant le passage à une lecture commune. Ce sont des œuvres toujours très difficiles, et nous ne pouvons les déchiffrer tous les quatre sans les avoir travaillées préalablement. Nous commençons toujours les répétitions très lentement, pour bien écouter les voix, les harmonies, et pour éviter tout compromis.
 
Le 3e Quatuor op. 67 de Brahms est moins joué que les deux autres. Pourtant, il est aussi merveilleux. Et il y a ce quatrième mouvement, dans lequel, à l’instar de son Quintette avec clarinette, Brahms fait revenir le thème du premier mouvement, et le mêle aux variations du final. Un passage miraculeux qui doit être particulièrement difficile à interpréter ?
 
S.I. : C’est une musique difficile à comprendre ; il faut beaucoup la travailler. Nous devons jouer deux thèmes en même temps… ce qui s’avère, effectivement, périlleux.
 

© Stéphane Lavoué

 
Vous êtes-vous beaucoup interrogés sur les tempi des quatuors de Brahms ? Je pense en particulier à celui du premier mouvement de l’Opus 51 n°1, beaucoup plus vif chez vous que dans d’autres interprétations.
 
T.D. : Nous avons essayé un nombre incalculable de tempi. Nous sommes allés dans beaucoup de directions. Et bien que cette musique soit assez dramatique, nous avons pris un parti vif et presque « ensoleillé ».
 
Quelle est votre relation à ces deux Everest de la littérature pour quatuor que sont Beethoven et Bartók ?
 
S.I. : Nous avons commencé par le 7Quatuor de Beethoven, peut être le plus séduisant de l’ensemble, une sorte de porte ouverte vers l’univers de tous les autres. Et nous allons bien sûr continuer. Concernant Bartók, nous avons abordé les 3et 6e Quatuors. En tant que violoncelliste, je suis heureux de pénétrer l’univers de Bartók par le quatuor, car il n’a pas laissé de chef-d’œuvre pour mon instrument, comme il l’a fait pour le piano, l’alto, la clarinette ou le violon.
 
Thomas Descamps, vous êtes second violon du Quatuor Agate. Comment situez-vous votre rôle par rapport à celui de premier violon ? Vous arrive-t-il d’inverser les rôles ?
 
T.D. : Nous n’inversons jamais. Au départ, quand j’ai commencé à faire du quatuor, j’étais premier violon. Au moment où nous avons décidé de passer aux choses sérieuses, j’ai proposé d’emblée que la place de premier violon revienne à Adrien Jurkovic. C’est un musicien qui m’inspire énormément, et je suis très heureux de ces deux « rôles » que nous nous sommes attribués. J’aime ce côté « colonne vertébrale » du quatuor, que je partage avec l’altiste. Tout en jouant d’un instrument qui est le seul qui possède deux représentants au sein de la formation !
 
Propos recueillis par Frédéric Hutman le 28 février 2024
 

Calendrier des concerts du Quatuor Agate : quatuoragate.com/agenda/

(1) Une soirée qui marquera la sortie officielle de l'enregistrement du Concert op. 21 d'Ernest Chausson par Gabriel Le Magadure, Franck Braley et les Agate, accompagné de la Sonate pour violon et piano de Lekeu ( 1 CD Appassionato-Le Label - APP004)

Calendrier des concerts du Quatuor Agate : quatuoragate.com/agenda/
 
Photo © Stéphane Lavoué

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