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22e Festival de Pâques de Deauville - Des sons et des couleurs – Compte-rendu

Les cénacles, les doctrines, ici n’ont pas leur place. Et les oppositions de styles non plus : un seul compte, celui qui  combine rigueur et convivialité, enthousiasme des jeunes musiciens chaperonnés par de grands aînés, joie et passion de jouer. Trois week-end dont le dernier est un peu plus nourri, pour montrer les facettes d’un festival qui fut pionnier dans son genre et où Yves Petit de Voize, qui manie ici en toute liberté ses baguettes de passeur de musique, tente tous les rivages, les plus hétéroclites, les plus académiques, les plus mal aimés, les plus oubliés, les triomphants: on glisse de Schubert à Chostakovitch, de Franck à Copland, on s’interroge sur le peu de place fait dans les concerts français à Ives ou Barber, on découvre Arnold Bax, mort en 1953 et Jessie Montgomery, né en 1961, on passe des deux pianos au trio, au quatuor, au quintette, au sextuor, bref les joies du chambrisme, vécues avec une sorte d’intense légèreté qui donne ses couleurs à ce moment musical unique.
 
Intense, en effet, car empreint d’une vraie jubilation, celui vécu avec Augustin Dumay en meneur de jeu, sa disciple violoniste Elina Buksha, nouvelle venue au Festival, et les grandes signatures que sont désormais Yan Levionnois, Victor Julien-Laferrière, deux violoncelles qui se répondaient avec une finesse rayonnante et complice,  les chaleureux altistes Manuel Vioque-Judde et Mathis Rochat, enfin la douceur veloutée du piano de David Kadouch : pour le plus beau des programmes romantiques, puisque le Quintette pour piano et cordes op. 44 de Schumann faisait face au 1er Sextuor à cordes de Brahms, que chacun attendait avec gourmandise. L’intimité profonde des interprètes, la beauté de leur son, l’intelligence de leur phrasé était rehaussées par un archet d’une finesse et d’une élégance rares, celui d’Augustin Dumay, artiste au jeu généreux et libre, insuffisamment fêté en France.

David Chalmin © Claude Doaré

Changement de cap total le lendemain avec du barock-rock : pur baroque d’abord joué par une escouade d’archets amoureux de ces sonorités passant du trop pointu au trop éteint, pour obtenir une palette délicatement dérangeante, qui épouse la royale écriture de Vivaldi, Händel et surtout Telemann avec son savoureux Concerto en mi mineur pour flûte TWV 52. Puis la surprise attendue, celle de l’œuvre commandée à David Chalmin, un jeune compositeur né dans le sérail du Festival de Bel Air, près de Chambéry, dont les parents, fous d’orgue et proches de Renaud Capuçon, ont fait un bijou à part. David, lui, est un musicien de son temps, épris de sonorités nouvelles, mais qu’il entremêle à l’esprit du baroque, que sa finesse lui fait ressentir amoureusement.
 
En fait, sa pièce, intitulée Sept Particules, provient de sa rencontre avec Justin Taylor, brillant claveciniste, vainqueur du Concours de Bruges en 2015. A eux deux, ils ont  déclenché toutes sortes d’interrogations sonores, créé des effets de surprise lorsque Chalmin s’attablait à ses synthétiseurs, ou alternait avec la guitare électrique et un chant délicat qui évoquait quelque Arcadie oubliée, tandis qu’autour, flûte, hautbois d’amour, violon, alto, viole de gambe et violoncelle se lançaient des appels. Le tout dans une ambiance feutrée, parfois développée rythmiquement à la façon d’un John Adams, et se refermant sur une longue tenue des cordes qui n’était pas sans évoquer l’ouverture de l’Or du Rhin wagnérien. Un parcours fléché, témoignant d’une grande culture et d’une personnalité certaine.
 
Pour le dernier week-end de la 22e édition, entrée en scène d’une escouade de jeunes déjà inscrits dans les annales du Festival, les Fouchenneret, Moreau, La Marca, Laloum et bien d’autres pour Mahler, Fauré, Dvorak et Stravinski, avec notamment l’Histoire du Soldat contée par Didier Sandre et dirigée par Pierre Dumoussaud. Un programme copieux, fouillé, parfois surprenant. Ici, sur les planches musicales, est né naguère le Cercle de l’Harmonie avec le duumvirat Jérémie Rhorer-Julien Chauvin. Les deux musiciens ont séparé leurs routes depuis, mais l’harmonie, elle, règne toujours.
 
Jacqueline Thuilleux

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Deauville, salle Elie de Brignac, les 20 et 21 avril ; prochains concerts les 26, 27, 28, 29 et 30 avril 2018 //www.musiqueadeauville.com
 
Photo (Augustin Dumay, Elina Buksha, David Kadouch (piano), Mathis Rochat, Victor Julien-Laferrière) © Claude Doaré

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