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34ème Festival International de piano de La Roque d’Anthéron - Une terre de contrastes – Compte-rendu

hamelin 2014

L’ambiance est toujours surchauffée même en cette période venteuse où, chaque jour, se succèdent à un rythme effréné des pianistes de tous âges venus se produire dans le cadre du légendaire Festival de La Roque d’Anthéron. Difficile de choisir entre des concerts qui investissent toute la région au-delà même du Parc du Château de Florans qui vit éclore, il y a trente-quatre ans, la manifestation estivale.
 
Le récita du Chinois Haochen Zhang (Médaille d’Or en 2009 du Concours Van Cliburn à l’âge de 18 ans) impressionne par une virtuosité étincelante, s’exprimant avec davantage de bonheur dans la Sonate pour piano de Bartók que dans une « Waldstein » menée tambour battant et sans la respiration voulue. Par leur absence de simplicité, les deux Sonates de Scarlatti (K. 159 et 380) n’emportent pas non plus l’adhésion. En revanche, les Trois Intermezzi op. 117 de Brahms recèlent poésie, sens du chant et de la douleur contenue. Les vertus de l’expérience devraient permettre à Zhang de faire fructifier son jeune talent, qui explose déjà dans la Campanella de Liszt ou la Toccata de Prokofiev données en bis.
 
Interprète sans cesse à la recherche d’un répertoire hors des sentiers battus, Marc-André Hamelin (photo) a plus d’un tour dans son sac. Dans les deux Concertos de Haydn (ré majeur et en sol majeur), le Canadien rivalise de malice, de facétie, superbement soutenu par les musiciens de la Kremerata Baltica auxquels il se contente d’indiquer quelques départs. Vitalité roborative, intelligence sans cesse en éveil, humour ravageur (Rondo all’ungarese final du Concerto en ré majeur), caractérisent ce jeu débridé, décoiffant et stylistiquement convaincant. Sans chef, l’ensemble de chambre propose une Ouverture de L’Enlèvement au Sérail transcrite pour les cordes qui fait regretter l’original. La pochade de Schnittke intitulée Moz-art à la Haydn, admirablement exécutée par les deux violons solos de la Kremerata Baltica, ne peut faire oublier la Symphonie « Les Adieux » de Haydn à laquelle elle fait un clin d'œil par le départ de chacun des musiciens sur la pointe des pieds à la fin de l’œuvre.
 
Dans l’Abbaye de Silvacane, Bruce Brubaker, spécialiste de Philip Glass, consacre un programme entier à quelques pages incontournables du compositeur minimaliste américain (Mad Rush, Metamorphosis, des extraits d’Einstein on the Beach …). La force répétitive, le pouvoir du rythme hypnotisent au fil d'un poème musical continu, un rien austère, qui suscite un étirement envoûtant d’un temps immobile.  
 
Retour au classicisme dans le Concerto n°12 de Mozart sous les doigts de Yulianna Avdeeva (Prix Chopin de Varsovie en 2010) en compagnie de la Kremerata Baltica. Parfaite techniquement, sans surprises, la soliste ne prend pas de risques mais ne commet aucune faute de goût. Le Concerto pour piano n°2 de Chopin (dans l’arrangement étique pour orchestre à cordes d’Evgeny Sharlat) bénéficie d’un admirable jeu perlé, impeccable sur le plan digital et d’un rubato mesuré totalement maîtrisé. Ne manque, là encore, que le supplément d’imagination et d'engagement.
En revanche, dans la Sinfonietta n°2 de Mieczyslaw Weinberg pour cordes et timbales (1960), la Kremerata Baltica, totalement investie, fait feu de tout bois dans cette partition néoclassique d’une ironie bouleversante. Le pouvoir de conviction de la formation atteint son paroxysme dans l’Adagio dont la puissance évocatrice provoque un véritable choc émotionnel.  
 
Le prochain Festival de La Roque d'Anthéron se déroulera du 22 juillet au 23 août 2015 et, sans anticiper sur les festivités du 35e anniversaire, son directeur artistique René Martin prédit la venue d’une pluie d’étoiles dans cette Mecque du piano.
 
Michel Le Naour
 
Parc du Château de Florans, Abbaye de Silvacane – 3 et 4 août 2014

Photo © Fran Kaufman

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