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61e Festival Pablo Casals de Prades – Complicité chambriste - Compte-rendu

« Rencontres » : thème peu contraignant et propice à la variété que celui choisi par le 61ème Festival Pablo Casals qui, comme de coutume, concentre l’essentiel de sa programmation à l’Abbaye Saint-Michel de Cuxa. « Picasso, Casals… Deux Pablo pour la paix » : l’hommage que Prades rend tant au peintre qu’au musicien est prétexte à une riche soirée littéraire et musicale où le comédien Didier Sandre (textes de Neruda, Arthur Conte, Aragon, Thomas Mann, Casals…) fait équipe avec l’Ensemble Calliopée, auquel le pianiste Jean-Claude Vanden Eynden - un fidèle du Festival et de l’Académie(1) de Prades - prête son concours pour un programme original.

On goûte le lyrisme ému et le naturel du violoncelliste Florent Audibert et de J.C. Vanden Eynden dans la Rêverie de Casals et El Pont de Mompou, avant que la voix de Didier Sandre n’enlace les mots d’Aragon autour des trois Pièces pour clarinette seule de Stravinski (auxquelles s’ajoutent ici les modestes et tendres « 5 mesures pour Pablo Picasso »), un ensemble servi par le sens poétique et l’impeccable contrôle du son de Julien Hervé. Dédiée à Federico Garcia Lorca, la Sonate pour violon de Poulenc trouve naturellement sa place dans ce concert. Amaury Coeytaux y offre un belle leçon de style, idéalement secondé il est vrai par l’amoureux de musique française qu’est J. C. Vanden Eynden. Franchise de ton, justesse de la couleur et du sentiment (magnifique Presto tragico final, rendu avec toute l’urgence nécessaire) : une interprétation de grande classe que peuvent méditer tous ceux qui sont parfois tentés de prendre Poulenc d’un peu haut.

Le début de la seconde partie s’écarte momentanément du fil rouge espagnol pour faire découvrir au public du festival le Prix du Concours de composition de Prades 2013 : la Danse macabre de la Coréenne Sae Ahm Kim (26 ans). Ceux qui, comme nous, ont assisté au 5ème Concours en avril dernier, ne peuvent qu’être surpris par l’évolution de l’interprétation de l’Ensemble Calliopée (dirigé pour cette œuvre par Marc Desmons) dont l’approche a gagné en souplesse et souligne encore mieux qu’à la première audition la séduisante ambiguïté, entre mystère et ironie, d’une pièce finement ouvragée. Retour à l’Espagne : Turina est rare dans les programmes et l’on ne peut que le regretter en entendant un morceau tel que Caliope (pour piano et cordes). Tiré du cycle Musas de Andalucia, il présente un paradoxal mélange de fluidité et de hiératisme et montre les interprètes distillant ses coloris avec raffinement (mention spéciale au violon lumineux de Maud Lovett !). Les archets de Calliopée et J.C. Vanden abordent ensuite un autre ouvrage négligé : le Quintette pour piano et cordes (1895) d’Enrique Granados. La production du maître de Lleida ne se réduit pas aux Goyescas et, même s’il n’atteint pas les sommets de ce cycle génial, l’Opus 49 – contemporain des Valses poéticos – mérite d’être défendu. Surtout quand on lui apporte l’énergie sans brutalité et l’art du timbre (étreignant mouvement lent) qui distinguent une conception pleine de caractère.

Fidèles du Festival de Prades, le Fine Arts Quartet et le Quatuor Talich étaient au rendez-vous d’une soirée « Grands Quatuors » qui a fait les délices des amoureux de musique de chambre. Les Fine Arts ouvrent la marche avec le Quatuor op 71 n°2 Hob.III/70. Tact, finesse, esprit : une interprétation de belle tenue s’affirme sous les quatre archets avec cet inimitable mélange de style, d’esprit et d’humanité qui fait la saveur de Haydn. Le climat change du tout au tout ensuite puisque la formation américaine s’empare de l’unique Quatuor d’Edvard Grieg. L’homogénéité n’est sans doute pas la qualité dominante de cette partition néanmoins pleine de charme, mais avec un élan irrésistible le Fine Arts Quartet en livre une interprétation d’une indiscutable cohérence d’ensemble et se régale des teintes variées et du lyrisme sans apprêt d’un opus dont le Presto al saltarello final s’envole avec autant de précision que d’alacrité. Un seul ouvrage occupe le Quatuor Talich en seconde partie de soirée, mais quel ! S’il n’est que le deuxième dans la série des quinze Quatuors de Chostakovitch, l’Opus 68 (1944) est déjà une œuvre-monde où la personnalité du musicien se révèle dans toute sa complexité. Sans une once d’emphase, la formation tchèque libère toute la force expressive de la partition ; on écoute la gorge serrée l’archet Jan Talich dans l’étonnant second mouvement et lorsque le thème adagio réapparaît, bouleversant, au terme du finale chaque auditeur a conscience d’avoir vécu un moment privilégié.

Le ton se veut plus léger le lendemain. Les Fine Arts interprètent d’abord la Sérénade italienne de Hugo Wolf. D’une finesse et d’une légèreté impalpable sous ces quatre archets, la partition procure la sensation de goûter à de la lumière faite musique. Directeur artistique du Festival de Prades, Michel Lethiec rejoint les artistes américains pour les Souvenirs de Voyage (1967) de Bernard Hermann. Cette composition au lyrisme nostalgique et entêtant montre le clarinettiste enchâssant le chant de son instrument dans le délicat écrin tissé par ses partenaires. Christian Altenburger, Hagaï Shaham, Xavier Jeannequin, Paul Coletti, Arto Noras et Damien Ventula : fine équipe que celle réunie pour le Sextuor « Souvenir de Florence » de Tchaïkovski qui conclut la soirée. Après la douce lumière de l’ouvrage de B. Hermann, le soleil se fait radieux dans une interprétation d’un enthousiasme tout… pradéen !

Si les rendez-vous du soir ont pour l’essentiel lieu à Saint-Michel de Cuxa, le Festival rayonne autour de Prades pour ses concerts de fin d’après-midi. Karl Leister, Michel Lethiec, Gil Sharon, André Cazalet et Yves Henry avaient ainsi rendez-vous sur la scène du théâtre du Casino de Vernet-les-Bains. On retrouve avec émotion le clarinettiste allemand dans le Trio « des quilles » ; un vétéran de 76 ans dans une forme pour le moins étonnante. Par-delà le contrôle admirable de la sonorité, ce sont la poésie et l’esprit amical qui l’on retient de ce Mozart, tout comme de trois lieder de Mendelssohn arrangés pour deux clarinettes et piano que l’artiste donne ensuite avec son collègue Michel Lethiec. Avec A. Cazalet et Y. Henry, le patron du Festival offre aussi l’une de ces raretés dont il aime à parsemer sa programmation : le Grand Duo sur Don Juan pour clarinette, cor et piano de Johann Sobeck (1831-1914), rendu avec la franchise et l’humeur un brin goguenarde que la pièce réclame. La fête chambriste pradéenne se prolonge jusqu’au 13 août et aura pour point d’orgue un « Hommage à Casals » tout entier dédié à Schubert.

Alain Cochard

(1) Prades est également célèbre pour son Académie d’été ; elle aura attiré un peu plus de 130 étudiants cette année.

Prades, Abbaye Saint-Michel de Cuxa, les 1er, 2 et 3 août, Vernet-les-Bains, 2 août 2013. www.prades-festival-casals.com /

A lire : signalons la parution récente d’une biographie bien documentée de Casals signée Henri Gourdin : « Pablo Casals, l’indomptable » (Les Editions de Paris / Max Chaleil – 267 p.)

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Photo : Nemo Perier Stefanovitch
 

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