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Aleko et Francesca da Rimini de Rachmaninov à l’Opéra national de Lorraine - L’œuvre au noir

Il n’aura fallu à Rachmaninov que dix-sept jours pour composer Aleko. Encore étudiant au Conservatoire de Moscou,  le jeune homme veut passer son examen de sortie de façon prématurée. Son professeur Anton Arenski lui répond oui, mais à condition qu’il écrive comme ses camarades plus âgés, Konius et Morozov, un opéra d’après Les Tziganes de Pouchkine. Ce sera Aleko, drame en un acte nommé d’après le personnage principal de la nouvelle.

L’œuvre de l’auteur d’Eugène Onéguine ne l’enthousiasme guère mais impatient de prouver sa valeur, Rachmaninov trousse en quelques scènes et l’intrigue – un mari trompé tue sa femme et son amant - on croirait Paillasse ou Il Tabarro ! -  et les atmosphères qui émanent d’abord d’un orchestre évocateur. Tchaïkovski adoubera l’ouvrage, comme le public de la première au Bolchoï, le 9 mai 1893. Dix années plus tard Chaliapine se mesurera au rôle-titre, donnant un second souffle à une partition aussi sombre que somptueuse.

Ce succès à l’opéra restera treize années sans suite avant que Rachmaninov ne revienne taquiner la muse lyrique  pour deux sujets  dont l’un est une fable sur l’avarice – Le Chevalier ladre – et l’autre un voyage dans un épisode de La Divine Comédie, Francesca da Rimini. Le Bolchoï créera les deux partitions le 24 janvier 1906.

Elles portent également  le sceau du génie et comptent parmi les opus essentiels de leur auteur. Pour Francesa da Rimini , Rachmaninov trouva un librettiste zélé en la personne du frère de Piotr Ilitch Tchaïkovski, Modeste, qui proposa une mise en abyme de l’histoire de Paolo et Francesca constituée d’un Prologue – la descente de Dante aux enfers – de deux actes comptant la passion amoureuse de Paolo et Francesca et leur assassinat par Lanceotto Malatesta – et un épilogue où les voix des damnés résonnent avec que Dante ne tombe comme mort. Orchestre prodigieux, qui vous entraîne chez Pluton, écriture vocale entre récitatif de Dante et lyrisme tout italien de Paolo et Francesca, l’œuvre est de bout en bout fascinante et reste à part dans le corpus lyrique de la première moitié du XXe siècle.

L’Opéra National de Lorraine fait œuvre utile en présentant enfin les deux partitions au public français. Espérons que la régie de Silviu Pucarete restera fidèle aux intentions du compositeur et que Rani Calderon (photo) saura donner tout son lyrisme expressionniste à l’orchestre de Rachmaninov. Côté distribution une équipe de chanteurs russes promet beaucoup : Alexander Vinogradov en Aleko et en Malatesta, Gelena Gaskarova pour Zemfira et Francesca, le remarquable Evgeny Liberman pour Paolo, voila un trio qui devrait rendre aux notes de Rachmaninov toute leur puissance de suggestion.

Jean-Charles Hoffelé

Rachmaninov : Aleko / Francesca da Rimini.
6, 8, 10, 12 et 15 février 2015
Nancy – Opéra National de Lorraine
www.opera-national-lorraine.fr

Photo © ranicalderon.com

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