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Portrait baroque - André-Modeste Grétry (1741-1813)
A la rentrée 2009, Roger Tellart consacrait un article à André Modeste Grétry à l'occasion des Grandes Journées Grétry du Centre de Musique Baroque de Versailles. En cette année Grétry et en hommage au collaborateur qui nous a quitté cet été, nous vous proposons de redécouvrir ce beau portrait du maître liégeois.
« Monsieur Grétry est de Liège ; il est jeune, il a l’air pâle, blême, souffrant, tourmenté : tous les symptômes d’un homme de génie ». Expert des chroniques parisiennes, le Baron Grimm ne semble pas avoir échappé à l’engouement suscité en France par les premières œuvres opératiques du futur auteur de Richard Cœur de Lion, installé dès 1768 dans la capitale (très vite, il en fera son centre d’activités presque exclusif). En d’autres termes, les Parisiens se découvrent une vraie passion pour ce Liégeois né en 1741, mais tard venu à la musique (qu’il apprit cependant enfant dans les rangs de la maîtrise de la collégiale Saint-Denis de la cité meusienne).
En fait, conscient des lacunes de sa formation, Grétry, grâce à une bourse, avait auparavant complété ses études par un séjour à Rome, entre 1760 et 1766 auprès de G.B.Casali, maître de chapelle à Saint-Jean-de-Latran, qui lui conseilla de passer l’examen de l’Académie des Filarmonici de Bologne où il connut, entre autres, le fameux Padre Martini qui fut le mentor du jeune Mozart.
Reste que son admiration allait d’abord à Piccinni, qui fut le rival de Gluck dans la querelle sur la rénovation du drame lyrique, et tout autant à Pergolèse, mort trente ans plus tôt. Ce qu’il reconnaîtra d’ailleurs dans ses Mémoires, publiés entre 1789 et 1796-97 : « l’école italienne est la meilleure qui existe, tant pour la composition que pour le chant ».
C’est pourtant comme chef de file de l’école française qu’il rencontrera un succès durable. Ses deux premières œuvres parisiennes, Le Huron (1768) et Lucile (1769) tournent au triomphe, parce qu’elles apportent un ton nouveau, une manière de sentimentalisme qui touche aussi bien le bourgeois que le populaire. Maître de l’opéra-comique, il va ainsi dominer la production au rythme d’un à deux ouvrages par an jusqu’à la Révolution de 1789. Certes des protecteurs puissants ne sont pas étrangers à cette réussite, tel le comte de Creutz, ministre de Suède, qui le présente à Marmontel (lequel, avec Sedaine et d’Hèle, sera son librettiste favori). Mais au-delà de ces soutiens, c’est son seul savoir-faire qui explique la constance des amateurs à son endroit (quelques échecs passagers seront sans effet sur le fait qu’il restera très longtemps le musicien à la mode ; une mode qui le fera élire à l’Institut et nommer Inspecteur des Etudes au Conservatoire, lui assurant une large diffusion comme auteur à l’étranger).
Cela dit, on ne s’étonnera pas que cet homme de l’Ancien Régime à plus d’un égard, ait ressenti la Révolution comme une rupture avec le monde qu’il avait si souvent chanté dans ses œuvres. Ainsi restera-t-il fidèle, jusqu’à la fin, à ses goûts simples et champêtres (en 1798, il avait acquis dans la vallée de Montmorency l’Ermitage de son cher Jean-Jacques Rousseau dont les Rêveries lui inspireront ses propres Réflexions d’un Solitaire). Vivant au calme dans cette retraite, il s’éloigne alors de la musique, faute de sujets à sa convenance (comment s’étonner si une Rosière républicaine, composée en 1794, ne l’inspire que médiocrement ?) pour ne se nourrir que du passé. Désormais le compositeur dépose la plume, n’ayant recherché, de son propre aveu, « que le moyen de contenter tout le monde ». Objectif manquant sans doute d’ambition, mais qu’il sut associer à un goût de l’expérience qui en fait souvent un précurseur de l opéra romantique. Avec une partition emblématique à cet égard : Richard Cœur de Lion (1784), chef-d’œuvre indémodable où la fraîcheur de l’invention mélodique se combine à un dramatisme qui – rêvons un peu – ne fut pas sans influencer Berlioz ou Wagner au tout-début de leur carrière. Ainsi la romance de Blondel revient neuf fois dans le cours de l’ouvrage, s’agissant d’un des premiers exemples du « motif de réminiscence » (le pressentiment du leitmotiv) qui jouera le rôle que l’on sait dans le répertoire du XIXème siècle.
Le style et l’œuvre
Reconnaissons avant tout que Grétry, soucieux de plaire au plus grand nombre, n’est pas sans défauts, ses lacunes majeures tenant dans les faiblesses de son orchestration et un sens harmonique qu’on dira limité. Mais cet esprit ouvert aux autres possède une sensibilité aiguë qui trouve aisément le chemin des cœurs. Portée par une émotion permanente et le souci d’une juste déclamation, sa musique semble jaillir des mots et de la langue, haussant l’opéra comique français à un point de perfection que ne laissaient pas pressentir les pages de ses prédécesseurs (Duni, Monsigny, Philidor).
Sans doute, sommes-nous loin avec lui tant de la complexité ramiste que l’opulence haydnienne ou mozartienne. Mais, précisément limité à la scène de l’opéra-comique, il a su considérablement en diversifier le champ expressif par le choix de sujets sentimentaux (comme écrit plus haut) et un langage parfois « larmoyant » qu’il partage avec celui des peintres de la même époque (Greuze). Aussi bien, les trouvailles sont chez lui nombreuses qui tiennent dans un certain décloisonnement des structures musicales et une continuité dramatique qui favorise l’écriture collective (un plus grand nombre d’ensembles que chez Monsigny ou Philidor, voire la suppression des intermèdes parlés). Dans toute cette évolution, l’influence du style bouffe – et aussi du chant orné à l’italienne – n’est pas niable (rappelons le culte que notre auteur portait à Pergolèse), un autre trait de modernité résidant dans l’ampleur des passages orchestraux à des fins descriptives et suggestives (Zémire et Azor, par ailleurs exemplairement partagé entre humour et tendresse).
Ainsi, sous prétexte de satisfaire tous les publics, Grétry fut, à sa façon, un « passeur » qui sut plus d’une fois deviner de quoi la musique de demain serait faite, conjuguant, répétons-le, une rare facilité mélodique et un goût de l’expérience inconnu dans la France musicale du temps. Et l’on ne peut lui reprocher le fait d’avoir su traverser sans encombres la Révolution et l’Empire, certes fêté par tous les régimes, après avoir le musicien simple et naturel que les Philosophes et Encyclopédistes appelaient de leurs vœux. Et tout autant, un homme de cœur profondément affecté par la disparition prématurée de ses trois filles qu’il adorait.
Roger Tellart
Photo : DR
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