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Anita Rachvelishvili et David Aladashvili à l’Espace Cardin - Le charme géorgien - Compte-rendu

On sait l’exceptionnel l’impact de cette voix géorgienne passée par la troupe de la Scala de Milan, où Barenboim la découvrit : c’était en 2009, Anita Rachvelishvili (photo) avait 25 ans et il n’hésita pas à lui confier une Carmen qui fit date. Un physique puissant, bien éloigné des Carmen aux fines silhouettes de Garanča, Uria-Monzon, Aldrich ou jadis Migenes, une présence écrasante, et une voix d’une ampleur et d’une chaleur qui firent ensuite d’elle l’Amneris idéale, rôle majeur où les Français qui la connaissent peu pourront la découvrir en mai prochain à l’Opéra Bastille, dans la mise en scène d’Olivier Py pour Aïda. Voix ambrée, qui s’amplifie comme une conque, et sait aussi se faire sirène, filant ses pianissimi comme un souvenir de son, sans aucune afféterie. Et une intelligence scénique qui tirait des larmes dans le rôle si prenant de Lioubacha dans la Fiancée du Tsar à Berlin. Bref, l’une des très grandes mezzos dramatiques du moment.
 
Et là, dans le cadre intime de l’Espace Cardin, on découvrait cette diva dans un style tout différent, celui de la mélodie, pour lequel son jeune compatriote, le pianiste David Aladashvili, 25 ans, lui donnait la réplique : un concert caritatif, organisé par la fondation Charité-Géorgie en faveur des enfants des territoires occupés par la Russie, et pour lequel le duo a su trouver un ton vif, piquant, un charme et une grâce peu habituelles dans ce genre de manifestation souvent un peu besogneuse. Il est vrai que ces deux personnalités flamboyantes se sont rencontrées il y a déjà quelques années, et que leur complicité joue délicieusement.
D’entrée de jeu, Aladashvili, qui mène à ce jour une brillante carrière aux USA, après des études à la Juilliard School, rentre en scène d’un pas conquérant et se jette sur le piano comme à l’abordage, pour une étourdissante entrée en matière dont on comprend vite qu’elle est de lui. Avec humour et dans un charmant français, il présente ensuite leur duo, et enchaîne sur des pièces géorgiennes, à l’indicible séduction. Puis les deux amis se lancent dans Rachmaninov, enchanteresse Vocalise notamment, dans Fauré et Duparc, où l’on pardonne à la géorgienne sa prononciation hypothétique et son style plus étoffé que celui des gracieusetés à la française habituelles, tant sa Phidylé emmène loin vers un horizon chimérique. On y admire encore cette délicatesse de nuances et cette largeur qui ouvrent l’horizon.

Le pianiste grogne ensuite en disant à quel point il aime peu les transcriptions d’opéra et préfère De Falla à Bizet, d’où une série de pièces venues du tréfonds de la voix, avec une raucité que l’on croirait sortie d’Andalousie et non de Tbilissi. Il est vrai que le tempérament géorgien, chaleureux, exalté, et totalement insaisissable, s’y prête admirablement. Puis, tout de même, en bis, un bon zeste de Carmen, avec une Habanera, et un Sous les remparts de Séville ensorcelants, même avec la distance que cette manifestation qui se voulait joyeuse imposait. Et plus de pages à tourner : pianiste comme chanteuse posant le doigt sur leurs tablettes !
 
On se régale d’avance à l’idée de retrouver la grande Anita en mai, et l’on aimerait bien fréquenter davantage cette brillante nature pianistique et humaine, cette virtuosité élégante et légère que dispense David Aladashvili, lorsqu’il fait un peu plus que les boute-en-train, ce qui n’est déjà pas si mal dans le cadre du concert classique.
 
Jacqueline Thuilleux

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Paris, Espace Cardin, 28 octobre 2015
 
Photo © Clizia Corti

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