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Ariane Matiakh dirige les deux Concertos de Zara Levina – « Cette musique m’a immédiatement parlé »

La France n’a pas assez l’occasion d’entendre Ariane Matiakh (photo), baguette de talent et de caractère, à son aise en musique symphonique autant qu’à l’opéra – l’Allemagne ou la Suède l’ont bien plus vite compris que nous... Mais un peu de patience, quelques rendez-vous se profilent heureusement à l’horizon.
Pour l’heure,  un très beau disque (1), enregistré avec la pianiste Maria Lettberg et l’Orchestre symphonique de la Radio de Berlin, permet de retrouver « la » chef française dans un répertoire pour le moins original : le deux concertos pour piano de Zara Levina (2), compositrice née en Crimée en 1906, formée à Odessa puis au Conservatoire de Moscou – avec Blumenfeld et Reingbald pour le piano, Gliere et Miaskovski en composition ; excusez du peu ... – et décédée à Moscou en 1976.

 

Maria Lettberg © lettberg.com

Comment le projet d’enregistrement des deux concertos de Zara Levina est-il né ?

Ariane MATIAKH : Tout a commencé par l’intermédiaire de Maria Lettberg, interprète curieuse de répertoires rares – on lui doit un enregistrement intégral de la musique de Scriabine. Maria avait découvert ces concertos un peu par hasard et elle est allée solliciter une relation commune, Stefan Lang, producteur à la Radio de Berlin avec lequel j’avais travaillé pour mes deux précédents CD.
Le projet d’enregistrement s’est alors mis en route et nous eu la chance de rencontrer Katia Tchemberdji, la petite-fille de Zara Levina, qui vit à Berlin – non loin des bâtiments de la Radio où nous avons enregistré fin avril 2016. Elle est compositrice, elle aussi, et a effectué un admirable travail de redécouverte et d’édition des œuvres de sa grand-mère. Son concours s’est avéré très précieux pour la préparation du matériel en vue de l’enregistrement.
Elle nous appris beaucoup sur sa famille, sur Zara Levina, dont le mari (Nikolai Tchemberdji, 1903-1948) était également compositeur. Nous avons noué des liens amicaux et, désormais, je lui rends volontiers visite lorsque je suis de passage à Berlin. »

Zara Levina et sa petit-fille Katia Tchemberdji, enfant © DR

Quelles ont été vos premières impressions au contact de ces ouvrages étonnants ?

A.M. : J’ai éprouvé un choc en découvrant une compositrice que je ne connaissais pas : sa musique m’a immédiatement parlé. J’ai ressenti le besoin d’en savoir plus sur l’œuvre Zara Levina. J’ai découvert qu’elle a écrit de splendide romances – elle adorait la poésie, celle Pouchkine en particulier. Ce faisant je suis entrée dans un univers musical singulier où Levina fait beaucoup référence aux grands maîtres qu’elle admirait (Rachmaninov, Rimski-Korsakov, Prokofiev, etc.). Sa musique est profondément enracinée dans la tradition russe mais son langage a évolué : on le mesure en entendant le 2ème Concerto (1975), écrit à la toute fin de sa vie ; une partition qui montre qu’elle commençait vraiment à s’épanouir. On se prend à imaginer ce qu’elle aurait écrit par la suite si elle avait vécu ... Zara Levina a perdu son mari six ans après l’achèvement du Concerto n° 1, disparition qui l’a laissée inconsolable. Il faut remarquer qu’elle ne s’est pas vraiment fait confiance en tant que compositrice et qu’elle a terminé son existence sur un sentiment d’inachèvement en ce domaine. Cela, ajouté à une vie de couple très tôt interrompue et à des problèmes de santé, explique le caractère dramatique du Second Concerto.
La musique de Zara Levina est remarquablement bien écrite pour le piano. A l’orchestre, on note un important travail sur les timbres et une dimension très mélodique – l’amour de l’artiste pour la voix se fait toujours sentir. Les musiciens de l’Orchestre symphonique de la Radio de Berlin ont pris beaucoup de plaisir à jouer ces concertos – on y trouve de beaux solos pour les bois. Zara Levina n’admirait pas Rimski-Korsakov par hasard ; son orchestre est à la fois chatoyant et puissant.
 
Envisagez-vous de reprendre ces œuvres en concert avec Maria Lettberg ? Avez-vous de nouveaux disques en vue ? Aura-t-on bientôt le plaisir de vous entendre en France ?

A.M: Rien n’est prévu pour le moment mais nous espérons bien trouver des occasions de donner ces concertos.
J’ai un nouveau projet d’enregistrement qui se concrétisera bientôt, dans la foulée de deux concerts (les 19 et 20 mars) avec la Staaskapelle Halle. (3) Il s’agira, là encore, d’une compositrice et d’une pianiste : Ragna Schirmer sera en effet à mon côté pour enregistrer le Concerto pour piano en la mineur de Clara Schumann ; ouvrage merveilleux qu’elle composa entre ses quatorze et ses seize ans. Nous le couplerons avec le Concerto n° 4 de Beethoven, que Clara a énormément joué dans sa carrière et pour lequel elle a écrit des cadences que Ragna a décidé d’adopter. En concert le programme sera complété – 500e anniversaire de la Réforme oblige – par la Symphonie n° 5 de Mendelssohn.
Quant à la France, je serai à Paris le 20 mai, à la Philharmonie, pour une version en français – destinée à un public familial – de L’Enlèvement au Sérail avec l’Orchestre de Chambre de Paris. A l’automne, toujours à Paris, dans le cadre d’ « Orchestre en fête », je donnerai un programme « Poulenc story » avec l’Orchestre de Mulhouse. Début 2018, j’aurai le bonheur de diriger Werther à l’Opéra national du Rhin. 
 
Entretien avec Ariane Matiakh réalisé par Alain Cochard, le 4 février 2017

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(1) Maria Lettberg, piano, Orchestre Symphonique de la Radio de Berlin, dir. Ariane Matiakh /  1 CD Capriccio C5269
(2) Pour en savoir plus sur Zara Levina (en allemand uniquement) : http://mugi.hfmt-hamburg.de/Levina/index.html
(3)buehnen-halle.de/sinfoniekonzerte_16#!/
 
Sites internet :
Ariane Matiakh : www.arianematiakh.com
Maria Lettberg : lettberg.com/
Ragna Schirmer : www.ragna-schirmer.com
 
Photo Ariane Matiakh © www.arianematiakh.com

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