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DOSSIER ATYS - Atys de Lully à la salle Favart  - Triomphe de l’intelligence sensible ! - Compte-rendu

Il était fou cet Héraclite : il s’est trompé sur toute la ligne ! Croyez- vous sérieusement qu’on ne puisse jamais se baigner deux fois dans le même fleuve ? Et bien si, justement, comme le prouve avec une royale éloquence la reprise inespérée de cet Atys de Lully et Quinault, qui depuis tantôt un quart de siècle a fait rêver toute une génération de mélomanes de par le monde. Un milliardaire américain a même tant rêvé de se baigner à nouveau dans les flots harmoniques du Surintendant de Louis XIV, qu’il a persuadé Bill Christie de remettre le chef-d’œuvre sur le métier avec son compère Jean-Marie Villégier et les scénographes d’origine.

Voilà qui fait la différence avec l’improbable projet d’afficher à nouveau Les Noces de Figaro de Strehler (mars 1973) après la mort du metteur en scène et dans une très mauvaise copie milanaise du décor et des éclairages. A quoi force est d’ajouter la dimension politique et sociale si essentielle chez Beaumarchais comme chez Mozart : la France d’aujourd’hui n’est plus celle d’avant le premier choc pétrolier de 1974 ! La vision de Strehler avait fait son office en son temps. Près de quarante ans plus tard, un œil neuf eût été bien préférable au mauvais musée présenté au public.

Atys n’a pas d’arrière-plan social, même s’il a eu une actualité, la cour cherchant en 1676 quelle épouse ou quelle maîtresse royale pouvait bien se cacher derrière les masques de Cybèle ou de Sangaride : cela faisait partie du jeu des people d’alors. Ce qu’on appelait déjà par révérence « l’opéra du roi » s’imposa pour ses qualités dramatiques et ses pépites musicales et la marquise de Sévigné ne fut pas la dernière à en chanter les louanges dans sa correspondance, la principale officine de communication de l’époque : preuve qu’on n’a rien inventé ! Le texte de Quinault est poétique, bien ficelé si l’on excepte le prologue à la gloire du souverain mécène et une partie de l’acte un. Quant à la musique, elle réussit une fabuleuse synthèse de l’opéra florentin et du ballet de cour parisien.

Tel est le chef-d’œuvre lyrique français qui décida en 1987, déjà à l’Opéra Comique, du triomphe définitif des « baroqueux » sur les tenants de l’interprétation sur instruments modernes des musiques anciennes. Je vous dois un aveu : j’ai eu le rare privilège de découvrir Atys d’avant… Atys, et ce dès décembre 1986 dans le joli théâtre baroque de Prato, près de Florence, où naquit Lully d’un père boulanger. En sortant de cette première italienne, la musicologue Brigitte Massin et moi eûmes la claire conscience d’avoir assisté à un événement capital dont la portée ne se révéla à nous que lors de la venue d’Atys à Paris : la pratique des instruments anciens sortit d’un coup du ghetto où l’ostracisme le plus agressif l’avait reléguée. Même les snobs furent enrôlés malgré eux dans le mouvement qui assurait sa victoire ! Ce fut leur justification en tout temps…

Mais qu’est-ce qui avait bien pu provoquer un tel choc, une telle révélation ? Celle précisément d’un spectacle total – ce que devrait toujours être l’opéra et ce qu’il n’est jamais en raison de la guerre des ego ! - dont la qualité essentielle, au-delà de toute beauté plastique, dramatique ou vocale, était l’unité : nul n’avait tiré la couverture à soi et tous avait tiré dans le même sens. La chorégraphe Béatrice Massin, fille de Brigitte Massin et assistante de la regrettée Francine Lancelot, avait même poussé le souci de la perfection dans la fusion des forces en présence jusqu’à effacer les frontières entre la masse chorale et les danseurs : le chant jaillissait du ballet comme la rose exhale son parfum en sorte que le public ne savait plus qui dansait et qui chantait, un même mouvement, né de la gestique de Bill et de la direction d’acteur de Villégier, entraînant les interprètes comme par magie. 

Retrouve-t-on cette magie salle Favart ? Ironie du sort, c’est la chorégraphie qui nous paraît en recul, datée, stéréotypée, mal intégrée aux autres ingrédients de la soirée. Ce sera le seul reproche à une reprise dont le moindre mérite n’est pas justement qu’elle ne cherche pas à reproduire « à l’identique », à figer les choses en marchant à reculons, mais au contraire à regarder vers l’avant en laissant mûrir les promesses des idées de chacun de ses artisans. Avec le temps, Christie et Villégier se sont libérés du carcan de la pure recherche historique et musicologique pour mettre du délié dans le déroulement dramatique. Ils n’ont pas cherché à cacher que eux aussi avaient évolué (et les spectateurs donc !) et ils ont fait le pari de la jeunesse des nouveaux interprètes qu’ils ont fait entrer dans leur jeu.

Ils récoltent ici les justes fruits de leur victoire de 1987. Ils ont découvert leur Amérique, ou plutôt leur Versailles musical, et nous avec eux : ils peuvent désormais jeter béquilles et échafaudages, Atys tient solidement sur ses jambes. Puisqu’on parle du héros, saluons celui du magnifique ténor Bernard Richter parfait en tous points. Sa chère Sangaride incarnée par la soprano Emmanuelle de Negri n’a rien à lui envier. Rescapé des premières, notre baryton Nicolas Rivenq a su préserver sa prestance et sa voix pour Celenus, général phrygien rival d’Atys. L’ensemble reste de très haute tenue : pas un petit rôle qui ne soit juste et à sa place.

Sans acrimonie, on notera que les Cybèle de jadis, Guillemette Laurens et Jenifer Smith, n’ont pas vraiment été remplacées par la mezzo Stéphanie d’Oustrac qui peine dans le style royal. Mais la qualité du travail de préparation imposé par le gant de fer de Bill ferait presque illusion tant il rend superflu le sur titrage grâce à l’exemplaire prononciation de tous. C’est à cela que l’on mesure l’apport de William Christie à la réconciliation des chanteurs français avec la prosodie qui ne vaut pas seulement pour Lully ou Charpentier, mais aussi pour Berlioz, Gounod, Bizet et Debussy. Avec quel naturel ses jeunes du « Jardin des Voix » entrent dans la production !

Ce qui bouleverse et signe la parfaite réussite de Villégier et de Christie, c’est qu’ils n’hésitent pas à innover, rajeunir, bref progresser au lieu de se remettre paresseusement dans les pas qui furent les leurs voilà un quart de siècle une nuit de décembre à Prato. Il ne s’agit pas ici de vulgaire « reprise » à peu de frais comme on en voit trop dans les maisons d’opéra, mais d’une remise en question où triomphe l’intelligence sensible de deux hommes de haute culture. La qualité retrouvée du décor et des costumes ainsi que leurs sublimes éclairages ajoutent encore à la magie. Et à notre bonheur.

Jacques Doucelin

Lully : Atys - Opéra Comique, 13 mai, puis les 16, 18 et 21 mai 2011. En direct sur Mezzo et Mezzo Live HD, 21 mai ; France Musique, 4 juin.

Théâtre de Caen, le 31 mai, 1er et 3 juin 2011
www.theatre.caen.fr

Opéra National de Bordeaux, les 16, 18 et 19 juin 2011
www.opera-bordeaux.com

Opéra Royal de Versailles, les 14, 15 et 17 juillet 2011
www.chateauversailles.fr

New York, Brooklyn Academy of Music (BAM Howard Gilman Opera House)
Les 18, 20, 21, 23, 24 septembre 2011
www.bam.org

Photo : Pierre Grobois
 

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