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« Beethoven est une partie de ma vie » - Une interview d’Abdel Rahman El Bacha


Avec Aldo Ciccolini, Nicholas Angelich et Shani Diluka, Abdel Rahman El Bacha partage une intégrale des concertos de Beethoven dans le cadre du Festival de la Grange de Meslay (17-26 juin), au côté du Swedish Chamber Orchestra dirigé par Andrew Manze. Quelques jours avant d’interpréter les Concertos nos 2 et 3, le 18 juin, il a répondu à concertclassic.

Beethoven a joué un rôle essentiel au commencement de votre parcours. Comment votre relation avec cet auteur a-t-elle évolué depuis cette époque ?

Abdel Rahman El Bacha : A tout début de ma carrière j’ai considéré Beethoven comme formateur car je savais qu’il m’obligeait à passer par les étapes nécessaires pour me perfectionner musicalement, pianistiquement et même moralement ; c’était une espèce d’idéal esthétique et philosophique qui me convenait. A l’époque où j’enregistrais l’intégrale des sonates et donnais beaucoup de Beethoven en concert, je n’ai jamais abandonné d’autres compositeur centraux dans mon répertoire. Par la suite je me suis beaucoup consacré à Chopin et je n’ai pas délaissé Beethoven pour autant. Je me suis aperçu qu’une influence s’était exercée. A travers Chopin, j’ai retrouvé un Beethoven un peu plus souple, sans qu’il devienne trop instable sur le plan du tempo. «Le tempo peut bouger mais il ne faut pas que cela s’entende », a dit Beethoven à propos du 2ème mouvement de sa 7ème Sonate. J’arrive désormais à faire bouger le tempo si l’expression et la couleur harmonique le demandent, mais sans que pour autant cela soit flagrant afin de respecter une volonté de stabilité liée au style beethovénien.

Continuez-vous à donner l’intégralité des 32 Sonates en concert ?

A.R. E. B. : Je donne régulièrement des sonates en récital, je n’ai jamais délaissé ce répertoire qui demeure pour moi une partie de ma vie et de ma pensée. J’ai eu l’occasion de parler il y a quelque temps avec René Martin d’un projet d’intégrale dans l’ordre chronologique concentrée sur un laps de temps très court (en l’espace de cinq soirées), comme je l’avais fait pour l’œuvre de Chopin il y a quelques années, le lieu et le moment restant à déterminer.

Quelques mots sur les Concertos nos 2 et 3 qui vous jouerez le 18 juin au Festival de la Grange de Meslay, plus particulièrement sur le 2ème, relativement mal-aimé…

A.R. E. B. : J’ai déjà eu l’occasion de donner une intégrale des concertos de Beethoven à l’invitation d’Alain Lombard à Bordeaux au milieu des années 1990. J’ai par ailleurs souvent fait des tournées avec l’un des cinq concertos pris isolément. Le 2ème Concerto est le dernier que j’ai eu à approfondir. Je crois que c’était le bon ordre des choses parce qu’on y trouve non seulement le tout premier Beethoven qui par moments nous fait penser à Mozart, mais également et très curieusement les germes de ce que va être le dernier Beethoven, ce que l’on ne trouve pas forcément dans le 1er Concerto, second comme vous le savez dans la chronologie.

En quoi consistent selon vous ces germes du dernier Beethoven dans le Concerto n°2 ?

A.R. E. B. : Je songe à l’atmosphère religieuse qui baigne le mouvement lent et particulièrement la coda, lorsque l’orchestre s’arrête et que le piano improvise : on est à l’air libre, le recueillement et l’élévation spirituelle dominent. On a affaire là à un Beethoven d’une grande maturité déjà.

Il n’y pas que le modèle mozartien dans ce concerto. La difficulté pour l’interprète est de savoir quel aspect il privilégie. En ce qui me concerne, quelle que soit la période du compositeur, je n’ai jamais considéré que Beethoven doive faire preuve de violence sur le plan de la qualité sonore. Que la violence soit liée à une expression, à un élan, l’interprète ne peut que le traduire, mais une violence qui se transforme en dureté sonore ne peut à mon sens correspondre à Beethoven ; cela contrarie ce que je considère comme un immense amour, une grande générosité d’âme.

Vous êtes depuis quelques années Maître en résidence à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth de Belgique. Comment s’y organise l’enseignement et comment concevez-vous votre rôle de pédagogue ?

A.R. E. B. : Je suis en activité à la Chapelle Musicale Reine Elisabeth depuis 2004, date à laquelle elle s’est restructurée avec un autre visage, des perspectives et des formules pédagogiques nouvelles. Avec Augustin Dumay et José van Dam, nous avons été les artisans d’une nouvelle idée de l’enseignement en ce lieu. J’ai beaucoup de plaisir à y travailler. Ce ne sont pas des cours traditionnels de conservatoire, même si un cours de musique reste un cours de musique. Le rythme des cours est adapté en fonction de la disponibilité du maître et des besoins des élèves, qui peuvent être de différents degrés, différents niveaux. La Chapelle Musicale aide des jeunes à mettre un pied dans la carrière tout en suivant un enseignement très perfectionné.

Je ne prétends jamais apporter un talent qui n’existe pas. Un pédagogue doit essayer d’éclairer le chemin de l’élève avec son propre flambeau ; je ne peux pas transmettre mon talent, je peux en revanche transmettre mon expérience. Quand je vois une difficulté chez un élève visiblement très talentueux, j’essaie de l’analyser par rapport à ce que j’ai vécu sur scène. Pourquoi un doigté a fonctionné ou n’a pas fonctionné, ça je peux le transmettre.
Je peux aussi parler de qualité de nuance. Chacun a une façon de jouer un pianissimo, mais il y a des qualités de pianissimo que je conteste. Quand on ne compte que sur la sourdine pour jouer un pianissimo il y a un dysfonctionnement entre l’oreille et le doigt. La main d’un pianiste est un peu comme la voix d’un acteur. Les choses doivent sortir spontanément de la tête, du corps. Il n’est pas normal de mettre la main devant la bouche pour parler plus doucement. J’essaie de pousser mes élèves à être clairs avec leur propre pensée.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 13 juin 2011.

Festival de la Grande de Meslay – Fêtes musicales en Touraine

Du 17 au 26 juin 2011

www.fetesmusicales.com

Rens. : 02 47 21 65 08

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Photo : Alvaro Yanez

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