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​Benvenuto Cellini sous la direction de John Eliot Gardiner au Festival Berlioz 2019- Métal en fusion - Compte-rendu

Fidèle désormais du Festival Berlioz, John Eliot Gardiner revient cette fois avec Benvenuto Cellini. Ce concert avec mise en espace inaugure de fait à La Côte-Saint-André une tournée européenne dans la foulée, qui mène au Berliner Festspiele, aux Proms et à Versailles (le 8 septembre). C’est dire combien il s’agit d’un événement, et à de multiples égards. En raison d’une part de l’œuvre, un opéra jaillissant mais difficile dans son interprétation et dans ses choix (nous y reviendrons), et un opéra peu souvent donné. En raison d’autre part de la présence de Gardiner, qui revient à une œuvre de Berlioz qu’il n’avait abordée qu’une seule fois, à l’Opéra de Zurich en 2002, malgré ces dernières années une tentative avortée pour l’Opéra-Comique à Paris, lui le transmetteur et spécialiste justement célébré de notre compositeur. L’attente était donc forte. Disons d’emblée qu’elle n’est pas déçue.

Si John Eliot Gardiner à la tête de l'Orchestre révolutionnaire et romantique © Bruno Moussier
 
Auparavant, quelques précisions s’imposent à propos de l’œuvre. Berlioz avait écrit son opéra « semi-seria » en 1838 à destination de l’Opéra de Paris ; il fut repris par la suite à Weimar sous la direction de Liszt et ponctuellement au Covent Garden de Londres sous la direction compositeur. L’édition actuelle de la partition chez Bärenreiter, qui fait désormais autorité, propose ainsi trois versions (parmi d’autres possibles) : « Paris 1 » ou l’opéra tel qu’il fut composé avant d’entrer en répétitions à l’Opéra de Paris ; « Paris 2 » ou l’opéra tel qu’il devint, avec un certain nombre de modifications, à la suite des représentations parisiennes ; et « Weimar », tel qu’il fut donné, à nouveau modifié, dans la cité allemande (1). Des choix s’imposent donc pour tout interprète. Disons que Gardiner a opté, peu ou prou, pour la version dite « Paris 2 ». Ce qui peut se concevoir, bien que l’on puisse penser que la toute première version, originale donc, offre plus d’attraits dans son initiale et virginale audace (version gravée par John Nelson pour Virgin/Erato, et donnée par François-Xavier Roth à Cologne et en ce même Festival Berlioz (2).
 
Cela dit, il n’est que de faire l’éloge de la transmission qu’en livrent Gardiner et ses troupes. D’autant qu’elle ne se contente pas d’un simple concert, mais s’agrémente d’une significative mise en espace. Les mouvements, réglés par Noa Naamat, les suggestifs costumes, conçus par Sarah Denise Cordery, les lumières, bien choisies par Rick Fisher, épousent l’action et les péripéties de ce geste opératique tout à la gloire de l’artiste créateur, le sculpteur de la Renaissance italienne Benvenuto Cellini, dans son défi à Dieu et aux hommes (en sus de surtitres, bien venus pour qui méconnaît les soubresauts de cette trame échevelée).
 

© Bruno Moussier

À cette action participe un plateau vocal de première volée, qui sait allier incarnation juste et chant approprié. Michael Spyres (photo à g.), habitué des grands rôles de Berlioz s’il en est, campe le héros de l’histoire avec l’entregent combiné à la finesse du style, de ténor en voix mixte, qu’il sait si bien ménager. Sophia Burgos (photo à dr.) dispense une Teresa, la promise du héros, d’une voix de soprano joliment lancée. Le rival Fieramosca et artiste institutionnel (en opposition, puisque l’œuvre se veut un manifeste esthétique), bénéficie de la projection claire et de la prestation irrésistible de Lionel Lhote – l’un des grands triomphateurs de la soirée. Balducci, le barbon et père de l’héroïne, grommeleur à souhait sous les traits de Maurizio Muraro, le pétulant travesti Ascanio d’Adèle Charvet, le Pape à l’autorité et la dérision de basse profonde de Tareq Nazmi, complètent l’adéquation générale des principaux rôles.
 
Pareillement mis à contribution dans un jeu scénique tout de vie et d’allant, le Monteverdi Choir intervient avec puissance et subtilité dans cet opéra où il est mis à large contribution, chœur privilégié et intervenant principal dans cet opéra (dont Boris Godounov saura se souvenir). Et l’Orchestre révolutionnaire et romantique, la phalange d’époque de Gardiner pour le répertoire du XIXe siècle, d’éclater et de percuter (la fameuse scène du « Carnaval romain », ophicléides inclus) ou de se faire évanescent (le tissu des cordes soutenant le trio du premier acte). Et tous de répondre au plus près à la direction d’une infinie précision, telle que cette partition bouillonnante le réclame, à travers ce feu de métal en fusion (à l’instar de celui de la fonte de la statue au final de l’opéra), du maître ès-Berlioz Gardiner. Un nouveau fleuron à ajouter à la gloire qui n’est plus à chanter du chef d’orchestre.
 
Pierre-René Serna

(1) Pour plus de précisions sur ces différentes versions, on pourra consulter nos ouvrages Berlioz de B à Z (Van de Velde, p. 18-32) et le récent Café Berlioz (bleu nuit éditeur, p. 57-64).
 
(2) Voir nos compte-rendus :
www.concertclassic.com/article/benvenuto-cellini-cologne-dedie-paris-et-lhumanite-compte-rendu
 
www.concertclassic.com/article/benvenuto-cellini-au-festival-berlioz-cisele-compte-rendu
 
 
Festival Berlioz, La Côte-Saint-André, auditorium provisoire du château, 29 août 2019 ; Reprise à l’Opéra royal de Versailles le 8 septembre / www.chateauversailles-spectacles.fr/programmation/berlioz-benvenuto-cellini_e2165
 

Photo © Bruno Moussier

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