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Billy Budd au Teatro Real de Madrid - À bon port - Compte-rendu

Coproduction avec l’Opéra de Paris, Billy Budd est étrenné au madrilène Teatro Real en attendant sa reprise parisienne (vraisemblablement pour la saison 2018-2019). En l’espèce, la production diffère essentiellement de celle qui avait fait les beaux soirs de la Bastille de 1996 à 2010, alors conçue par Francesca Zambello. Puisque Deborah Warner verse dans l’abstraction allusive, davantage que dans une simple et directe illustration. Avec un réel succès.
 
À noter que la version présentée est celle en deux actes de l’opéra de Britten, de 1964, et définitive selon le souhait du compositeur, plus ramassée et incisive que celle originale en quatre actes de 1951. La réalisation madrilène se signale aussi par une prédominance anglo-saxonne, de l’équipe de scène jusqu’aux chanteurs solistes et au chef d’orchestre, propre certainement à rendre au mieux le caractère de cet opéra d’après le roman devenu un classique de Herman Melville, tout à la gloire et aux doutes de la marine de guerre de sa Gracieuse Majesté britannique.

© Javier del Real / Teatro Real

Pour cette aventure de marins qui ne sont guère en goguette, mais plutôt confrontés aux tourments météorologiques et intérieurs, la mise en scène traduit ce huis clos voguant sur les eaux sans autre décor qu’une profusion de filins, effets de voiles et soulèvements de plancher (figurant les ponts du bâtiment, comme les sentiments souterrains), sous des lumières obscurcies d’orage. Les intervenants individuels de l’action s’opposent à la foule de l’équipage, déguenillés ou habillés de tristes frusques, dans des situations et mouvements parfaitement réglés pour porter le jeu profond des personnages. Cette histoire exclusivement d’hommes, enfermés en vase clos dans leurs contradictions affectives comme sexuelles – campée par une femme metteur en scène – trouve alors une poignante vérité d’accents.

© Javier del Real / Teatro Real
 
Et ce, d’autant que la restitution musicale s’immerge quasi idéalement. Toby Spence, Jacques Imbrailo et Brindley Sherratt sont l’incarnation même du Capitaine tenaillé par ses remords, du fringant Billy Budd par qui la perturbation tragique arrive, et du fourbe Claggart, le trio autour duquel le drame se noue, éminemment crédibles scéniquement comme vocalement. Les deux premiers, à qui Britten a réservé de conclure par un monologue lyrique (un air ?), distillent alors un phrasé sensible, avec d’évanescentes notes filées pour Imbrailo, que leurs vifs dialogues narratifs précédents ne favorisaient pas nécessairement. Le reste d’une pléthorique distribution (17 solistes ! tous masculins évidemment) s’acquitte sans accroc de ses participations multiples.
 
Le chœur, de voix masculines fermement préparées par Andrés Máspero, adjoint d’un petit chœur d’enfants et d’une foule d’acteurs, intervient nombreux et imposant dans son rôle de protagoniste à part entière. L’orchestre, titulaire du Teatro Real comme le chœur, sait se conjuguer, pour allier puissance et subtilités. Sous la direction nerveuse et pointilliste d’Ivor Bolton, directeur musical de l’institution, l’ensemble, plateau et fosse, concourt ainsi à une navigation sous grands-voiles. À cet égard, les interludes orchestraux, et larges prétextes musicaux de l’œuvre avec les monologues précités, fournissent à la magnifique phalange de l’Opéra madrilène l’occasion de déployer ses remarquables vertus de ductilité et acuité. Le tout servi par l’acoustique directe et présente comme peu, du temple lyrique de la capitale espagnole. Parachevant la victoire de l’opéra de Britten pour sa toute première escale à Madrid.
 
Pierre-René Serna

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Benjamin Britten : Billy Budd – Madrid, Teatro Real, 31 janvier ; prochaines représentations les 6, 9, 12, 15, 18, 22, 25 et 28 février 2017 / www.teatro-real.com/es/temporada-16-17/opera//billy-budd
 
Photo © Javier del Real

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