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Cendrillon à l’Opéra Comique - Retour au conte


Qui réunit Puccini, Richard Strauss et Massenet ? Les Femmes bien entendu. Tous trois sont d’admirables portraitistes du sexe faible, ils profitent de librettistes plus ou moins habiles pour imposer d’abord par leur musique des profils psychologiques féminins si finement dessinés qu’on ne les croirait pas conçus pour l’opéra. Salomé, Butterfly, la Manon de Massenet éclatent les cadres classiques du personnage lyrique. Et Massenet autant que ses deux confrères a été loin dans cette connaissance intime des ressorts de la psyché féminine, trouvant une veine lyrique particulière, inventant un vocabulaire auquel toutes ses héroïnes recourent en le variant savamment.

On paraphrase volontiers Ivan A. Alexandre qui assure qu’on doit prendre ses femmes chez Massenet et ses hommes chez Gounod, rien de plus constamment vérifiable. Pourtant, dans ce brillant mouvement, Cendrillon est en quelque sorte à part, d’abord par l’esprit du conte de Perrault. On sait que Massenet travailla avec son excellent librettiste Henri Cain dans le cadre assez féerique du Manoir du Pont-de -l’Arche : le surnaturel est donc ici omniprésent autant que chez le fabuliste, se régalant littéralement d’irréalité, ce qui réduit la portée psychologique des caractères, sinon celui de Cendrillon. Mais ce bémol ne s’entend pas, tant la partition est admirable, de voix certes, mais d’abord d’orchestre, allant avec fluidité et brio de l’improbable à la farce, du sentimental à la charge, le tout d’un geste alerte où se mêlent féerie et nostalgie. On sent bien que Massenet a mis son orchestre au net dans la douceur céleste du climat niçois ; une pointe de Côte d’Azur s’invite dans le conte ici et là.

L’œuvre revient chez elle, Salle Favart - elle y fut créée le 24 mai 1899 -, sous l’œil tout à la fois vif et attendri de Marc Minkowski, qui chérit tout particulièrement cette partition, et avec une escouade féminine brillamment appariée : Judith Gauthier et Blandine Staskiewicz alternent en Cendrillon, Ewa Podles devrait faire une Madame de la Haltière d’anthologie (même si l’on gardera en mémoire l’incarnation de Maureen Forrester au Châtelet voici quelques lustres), Michèle Losier en Prince Charmant (eh oui ! chez Massenet les hommes amoureux sont travestis, voyez Chérubin), la Fée selon Eglise Guttiérrez, Aurélie Legay et Salomé Haller en sœurs indignes, cela promet. Franck Leguérinel devrait tirer son aiguille en Pandolfe. Comment Benjamin Lazar passera-t-il du récit baroque au conte romantique ? C’est la grande inconnue de cette nécessaire réévaluation. On le guettera particulièrement lors du songe qui clôt l’acte III.

Comme à l’accoutumé, mais cette fois avec encore plus d’à-propos, l’Opéra Comique fait bien les choses en entourant sa nouvelle production de manifestations prometteuses : pour la science un Colloque sur l’Interprétation lyrique à la fin du XIXe siècle (les 3 et 4 mars), pour l’art plusieurs concerts dont deux ne devront pas être manqués : d’abord le Cendrillon (1759) de Laruette (1731-1792) par l’Ensemble Les Monts du Reuil, débarrassé de la poussière qu’il a prise en dormant depuis si longtemps sur les tréteaux de la Foire Saint-Germain (la musique brode sur des airs de Rameau, ce sera le 14 mars), mais surtout le programme de l’Orchestre National de Lyon et de Michel Plasson (1) - qui aurait probablement excellé lui aussi dans la fosse de Cendrillon -, justement intitulé Scènes de féerie : Massenet donc avec quelques extraits de celles-ci, Pelléas et Mélisande de Fauré, la Symphonie en ut de Bizet, des airs de la Dulcinée de Don Quichotte, et le Poème de l’amour et de la mer de Chausson par le mezzo profond de Béatrice Uria Monzon (le 6 mars, à 15h). Cela ne se refuse pas.

Jean-Charles Hoffelé

(1)Rappelons que EMI vient de faire paraître un coffret de 37 CD « Michel Plasson et la musique française » (50999 906820 2 5)

Massenet : Cendrillon, conte de fées en quatre actes

Les 5, 7, 9, 11, 15 mars 2011

Paris, Opéra Comique

www.opera-comique.com

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Photo : Alain Blanchot

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