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Circé de Desmarest à l’Opéra de Versailles – Tragédie sans tragédienne – Compte rendu

En ces temps où les annulations vont bon train, l’apparition de Laurent Brunner à l’avant-scène, quelques minutes avant le début du concert ressuscitant la Circé (1694) d’Henry Desmarest (1661-1741) avait de quoi inquiéter. De fait, l’annonce était inquiétante : Véronique Gens, chargée du rôle-titre, très sollicitée lors des séances d’enregistrement ayant précédé cette soirée, serait présente mais se bornerait à « donner la réplique » à ses partenaires. N’allait-elle que parler pour que les autres artistes ne chantent pas dans le vide ? L’apparition de la soprano rassura d’abord : elle chanterait, oui, mais non sans devoir souvent tousser discrètement, et sans l’appui nécessaire à projeter sa voix. Une Circé diminuée, donc, privée de l’ampleur que l’on attend d’un personnage de magicienne, une Circé parfois peu audible, et contrainte de transposer certaines lignes pour éviter des aigus difficiles. Ce soir-là, Véronique Gens n’était décidément pas en moyen d’être la Tragédienne qu’elle avait été pendant trois disques avec Christophe Rousset, ou de mettre dans son interprétation cette Passion qui donne son titre à son dernier récital. Il faudra donc attendre le disque, à paraître dans un an, pour véritablement entendre l’œuvre.
 
© Pascal Le Mée

D’autant que, comble de malchance, l’orchestre semble pris au dépourvu à plus d’un moment : départs brouillons ou carrément manqués (il faut même reprendre un passage au dernier acte), mise en place parfois approximative… La dizaine de jours de répétitions n’a semble-t-il pas suffi, et l’on espère que l’enregistrement déjà mis en boîte sera exempt de toutes ces scories. Pour les Nouveaux Caractères, c’est un jour sans, malgré la conviction de Sébastien d’Hérin (photo). De ce fait, l’oreille est d’autant plus sensible à certaines faiblesses de l’œuvre : le livret de madame Gillot de Saintonge n’est ni très habile dans sa construction, ni surtout très inspiré dans sa versification, c’est le moins qu’on puisse dire. La musique de Desmarest, elle, reste dans le moule lulliste, avec peut-être une tendance à plus de mélodie dans ce qui, chez le modèle, relèverait davantage du récitatif pur ; la partition inclut pourtant de beaux moments, comme ce duo Ulysse-Eolie qui transcendent la relative platitude des paroles (« Vous m’aimez, je vous aime… »).

© Pascal Le Mée

Si Véronique Gens est très souffrante, les cinq autres solistes sont, par chance, en pleine forme. C’est une surprise que d’entendre Nicolas Courjal dans ce répertoire : curieusement, il y met moins de théâtre que dans les œuvres du XIXsiècle dont il est plus familier, mais on apprécie son aisance dans le grave, surtout lorsqu’Elphénor revient à l’état de spectre. Romain Bockler est un Polite ardent, et Cécile Achille donne beaucoup de relief au personnage d’Eolie, tant dans la plainte que dans l’expression du bonheur d’être aimée d’Ulysse. Caroline Mutel est une Astérie pleine de dignité, qui sait trouver les accents qui conviennent à un personnage presque aussi important que celui de Circé. Ulysse fébrile, Mathias Vidal est chez lui dans cette musique, mais l’on se demande s’il ne met pas une pointe d’ironie dans la conclusion de certaines scènes, par un point d’orgue sur une phrase comme « Eloignons-nous ». Du chœur des Nouveaux Caractères sont issus plusieurs chanteurs venus interpréter de petits rôles : le programme n’identifie pas les sopranos en question, mais signale la participation de Mathieu Montagne, notamment dans une scène des rêves qui reprend, en beaucoup moins développé, la disposition du fameux sommeil d’Atys, ou de l’excellent Arnaud Richard, qui mériterait amplement un rôle de premier plan.

Laurent Bury

H. Desmarest : Circé, Versailles, Opéra royal, mardi 12 janvier 2022
 
Photo © Pascal Le Mée
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