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​Clément Lefebvre et le Quatuor Abegg aux Pianissimes – Le peps et la tendresse – Compte-rendu

On l’a déjà écrit, il faut le répéter, car la curiosité et la capacité à prendre des risques ne sont pas vertus si répandues dans un monde musical classique souvent agrippé aux sacrosaintes « références » et aux valeurs sûres – où considérées comme telles ... -  à la manière d’une bernique sur le granit breton : la série Les Pianissimes est l’une des plus découvreuses qui se puissent trouver à Paris. Après avoir programmé un Florian Noack, un Kotaro Fukuma ou un Selim Mazari par exemple, Olivier Bouley aura une nouvelle fois fait le pari de la nouvelle génération pour l’inauguration de sa saison 2016-2017. Il l’a gagné ; doublement même car et le public et le talent étaient au rendez-vous !  

Les mélomanes n’ont pas hésité à faire le déplacement en nombre jusqu’au charmant Studio Raspail (un lieu que les Pianissimes vont désormais investir régulièrement) pour écouter un artiste de 27 ans, Clément Lefebvre (photo), en soliste et en musique de chambre avec les archets de son Quatuor Abegg (Eva Zavarro, violon ; Tanguy Parisot, alto, Adrien Bellom, violoncelle).

Le Quatuor Abegg (avec Yaoré Talibart au 2d violon) © John Blanch

Le Concerto pour piano n° 13 de Mozart KV 415, dans sa version alternative avec accompagnement de quatuor (le violon de Yaoré Talibart se joint aux Abegg), ouvre la soirée. On n’ira pas chercher querelle à des violons traqueurs dans les premières mesures de l’Allegro, tant l’on mesure vite qu’une compréhension parfaite de l’ouvrage est à l’œuvre sous les doigts de Clément Lefebvre – qui doit s’adapter, et s’adapte fort bien, à un beau Steinway de 1901. L’inspiration d’un Mozart partant à la conquête de Vienne resplendit ! Le compositeur salzbourgeois chante et rêve d’opéra : sous les doigts du soliste, le clavier se mue en vraie scène de théâtre (quelle intelligence dans la cadence du 1er mouvement !), les thèmes en personnages ; avec un style impeccable, l’ancien élève de Roger Muraro et ses enthousiastes partenaires captivent par leur vitalité, leur fraîcheur, leur sensibilité. Bref, le peps et la tendresse réunis.

Même régal dans la Sonate n° 33 en ut mineur de Joseph Haydn. Lefebvre exploite au mieux les coloris chauds et boisés de son instrument – qu’il est agréable de sortir de temps à autre de la sempiternelle alternance Steinway moderne-Yamaha ...  Par son sens du phrasé, l’interprète signe une Sonate en ut mineur pleine de contrastes et d’imprévu, avec une main gauche continûment présente et expressive. On s’impatiente de le réentendre dans d’autres sonates de Haydn, dans Mozart évidemment, mais aussi chez CPE Bach dont l’esprit, à l’évidence, lui ira comme un gant.

Fin de concert chambriste avec le Quatuor Abegg dans le 1er Quatuor avec piano en ut mineur de Fauré. Le Fauré d’abat-jour et de thé tiède n’est pas l’option de nos musiciens : tant mieux ! L’élan et le sens de la pulsation distinguent leur Opus 15 dans les mouvements vifs (pure merveille que la légèreté joyeuse d’un Scherzo porté par le jeu aussi impalpable que bien timbré de Lefebvre), tandis que l’Adagio ose une totale plénitude de la respiration. Splendide, tout comme, en bis (Y. Talibart est de retour) le prégnant lyrisme de l’Adagio, quasi andante du méconnu Quintette op. 1 d’Ernö von Dohnányi.
Un ensemble à suivre de près et un pianiste dont vous n’avez fini d’entendre le nom.

Alain Cochard

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Paris, Studio Raspail, 26 septembre 2016
Prochain concert des Pianissimes, le 10 octobre, au Théâtre de l’Athénée avec le Duo Guillaume Coppola-Hervé Billaut / www.lespianissimes.com

Photo Clément Lefebvre © DR

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