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Compte-rendu : La Cambiale di matrimonio à Bastia - Savoureuse modernisation


Le gazole a fait défaut sur l’Île de Beauté, mais pas l’enthousiasme et le talent pour monter une Cambiale di Matrimonio de Rossini en ouverture de la saison de théâtre municipal de Bastia. Un choix opportun car 2010 marque le bicentenaire de l’ouvrage. Fer de lance de cette initiative lyrique, l’Ensemble instrumental de Corse – dont le violoniste Bruno Jouvenel assure la direction artistique depuis le début de la décennie – a uni ses forces à celles d’une belle distribution animée d’un vrai esprit de troupe. On ne s’en étonne pas quand l’on sait que la mise en scène du spectacle est signée de Vincent Vittoz.

Quelques puristes ronchonneront peut-être, mais ce dernier a eu l’excellente idée d’éliminer les récitatifs – à la vérité plutôt insipides – du tout premier ouvrage lyrique du prolixe Gioachino pour ne conserver que des airs et ensembles, déjà parfaitement « signés », qu’il a reliés par des dialogues en français de son invention.

Vittoz transpose l’action de La Cambiale dans les années 1940 chez un loueur d’accessoires pour le cinéma – une caisse d’épées en partance pour Cinecitta viendra opportunément fournir les armes du duel ! – que l’on imagine installé quelque part dans le sud de la France (du côté de chez Pagnol). A en juger par la blondeur péroxydée de Clarina, la secrétaire de Mill, le cinéma américain a fait des émules par ici... Une modernisation aussi charmeuse que convaincante : drôles, enlevés, pleins de tact, de tendresse aussi, les dialogues se marient avec naturel et fluidité à la musique, jouent du contraste entres les deux langues, et confèrent aux personnages une dimension qu’ils ne possèdent pas forcément dans l’original.

L’étoffe que l’approche de Vittoz donne à Clarina et à Norton (très jolie scène où l’on se partage une portion de ratatouille sur le pouce…) enrichit considérablement le propos de La Cambiale, sans en trahir aucunement l’esprit. Deux seconds rôles impeccablement tenus par Irina de Baghy et Jean-Daniel Senesi, aux côtés desquels les quatre autres protagonistes tendent avec verve et finesse le ressort aussi simple qu’efficace de l’action. A des qualités vocales et stylistique irréprochables, Vannina Santoni (Fanny), Xavier de Lignerolles (Edoardo), Jean-Michel Sereni (Mill) et Vincent Deliau (Slook) allient un merveilleux sens du théâtre dans un spectacle finement réglé par un metteur en scène qui lorgne beaucoup du côté de la comédie musicale et du cinéma américains.

La réussite de cette Cambiale corse doit beaucoup aussi au jeune chef Yann Molenat. A la tête d’une petite trentaine de musiciens (l’effectif exact prévu par Rossini), attentif à ses chanteurs, il défend une conception où l’élan et le piquant ne s’expriment jamais au détriment de la respiration et de la musicalité – un champagne rossinien à la bulle fine ! Avec le décor très simple conçu par Vincent Vittoz, ce savoureux Rossini possède tous les atouts pour s’adapter à différents lieux. Souhaitons-lui de circuler : il fera bien des heureux !

Alain Cochard

Rossini : La Cambiale di Matrimonio – Bastia, Théâtre municipal, le 2 octobre 2010


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