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Compte-rendu - Philippe Bianconi et Till Fellner au Festival Piano aux Jacobins - De la musique avant toute chose

Le fête du piano toulousaine bat son plein ! Leon Fleisher a donné le coup d’envoi du Festival Piano aux Jacobins le 3 septembre et, jusqu’au 29, les concerts se succèdent en quantité inhabituelle. Pour cette 30e édition du Festival, Catherine d’Argoubet et Paul-Arnaud Péjouan (les co-fondateurs et co-directeurs artistiques) ont fait les choses en grand avec près d’une trentaine de concerts comme toujours idéalement équilibrés entre les stars et de jeunes artistes à découvrir (dans le domaine du classique comme celui du jazz), parfois aussi des pianistes au parcours déjà solide mais que la France connaît peu, pour ne pas dire qu’elle les néglige scandaleusement.

Vaste sujet que celui de notre masochisme national… Il est des jours où le sort que ce pays est capable de réserver à ses plus beaux talents vous donne envie de pousser un grand coup de gueule. Depuis combien de temps Paris (exception faite du Festival Chopin de Bagatelle) n’a-t-il pas offert un concert à Philippe Bianconi (photo), l’un de nos plus merveilleux poètes pianistes ? Tous les « décideurs », épris d’excellence on veut le croire, devraient en toute logique se le disputer dans notre belle capitale, au goût si fin et si sûr comme chacun sait. Mais il en va hélas bien autrement... Et pendant ce temps combien de valeurs surfaites, de broyeurs d’ivoire, de grands prêtres du piano gris-trottoir, de fendeurs de poils et autres virtuoses sur pilote automatique – qu’ils viennent de Saint-Flour ou de Shanghai, la question n’est évidemment pas là – ont-ils gâché pas mal de nos soirées ? Beaucoup trop.

Ville musicienne s’il est, Toulouse se comporte autrement et Piano aux Jacobins n’a pas manqué de faire profiter à Philippe Bianconi de l’exposition médiatique que suppose un 30e anniversaire et d’offrir aux mélomanes l’un de ces récitals qui se gravent dans les mémoires. Qu’a donc fait Philippe Bianconi de si extraordinaire, demanderont certains, le menton un peu haut ? Une chose très simple, très difficile et extrêmement rare : de la musique, seulement de la musique, en mettant continûment au service de l’unique compositeur de la soirée, Chopin, une rare science du clavier.

L’humilité de Bianconi face aux œuvres n’a rien de neutre ou d’effacé ; son jeu me fait songer au mot de Jouvet lorsqu’il notait joliment que « l’acteur n’est qu’une table d’harmonie ». L’autre soir, dans le bel Auditorium de Saint-Pierre-des-Cuisines – un lieu que Piano aux Jacobins fréquente de temps à autre depuis l’an dernier –, l’interprète Bianconi n’était que cela et, avec une disponibilité totale, une démarche aussi lucide que sensible, il se faisait de tout son être « table d’harmonie » pour les oeuvres de Chopin. Valses op 18, op 34, op 64, Mazurkas op 17 et op 24 : des pages célèbres, mille fois entendues, mais où le pianiste par l’évidence, le naturel de son propos, laisse la musique s’épanouir, débarrassée des scories de l’habitude. Phrase toujours conduite, respirée, jamais forcée, brusquée, surchargée ; on songe à la souveraine simplicité d’un Stefan Askenase autrefois…

Bianconi a souvent inscrit Chopin au programme de ses récitals, mais ne lui avait jamais encore dédié une soirée complète. Il peut désormais s’aventurer en toute quiétude dans cet exercice périlleux. En plus des œuvres précitées, la Ballade n°3, lyrique et narrative à souhait, et le Scherzo n°4, servi par une merveilleuse alchimie des timbres, le confirment, tandis la Barcarolle, offerte en bis, parachève de somptueuse manière un itinéraire poétique magnifié par l’acoustique du lieu.

Le lendemain, au tour de Till Fellner de prendre place sur la scène, celle du Cloître des Jacobins cette fois. Des années se sont écoulées depuis la première venue du l’Autrichien à Toulouse. C’était en 1995 pour l’un de ses tout premiers concerts en France. Le propos y était déjà passionnant mais restait très marqué par l’ombre intimidante de celui qui a tant compté dans la formation de Fellner - et ne perd d’ailleurs jamais une occasion de vanter les qualités de son jeune collègue - : Alfred Brendel. Ceux qui y étaient présents se souviennent peut-être de Moments musicaux de Schubert, témoins d’une liberté encore à conquérir. C’est fait !

En quatorze ans, le pianiste (âgé de trente-sept ans aujourd’hui) a profondément mûri. Sa sonorité a gagné en richesse, en variété et sert un propos d’une intelligence et d’une musicalité peu ordinaires. Aucun effet de manche : par la cohérence de sa démarche, Fellner captive l’auditoire. Récital tout Beethoven pour ses retrouvailles avec Toulouse. Le programme porte la marque d’un fin musicien : d’aucuns auraient misé sur l’ « Appassionata », la « Clair de Lune » et d’autres sonates célèbres ; il préfère enchaîner les Sonates nos 25, 24, 15 « Pastorale » - un œuvre « à titre » peut-être, mais rarement jouée -, 27 et conclure par la Sonate n°4.

Un parcours aussi atypique que passionnant dans lequel Fellner nous entraîne de la plus convaincante manière. La rigueur qui caractérise son jeu ne relève jamais de l’austérité, ni de la sévérité didactique. Elle est la condition d’une approche lisible, fourmillante de détails qui ne nuisent cependant pas à l’architecture. Quelles richesses, quels prophétiques accents débusque-t-il dans la trop négligée Sonate n°4 op 7, dans son étonnant Largo en particulier. Avec quelle luminosité du toucher, quelle humaine complicité fait-il vibrer la poésie de la Sonate «Pastorale » !

En bis, la Sonate op.49 n°1 ne présente rien de « facile » sous les doigts d’un artiste aussi riche et accompli. Un jeune maître que l’on retrouvera dans ce même programme à Paris, salle Gaveau, le 14 octobre prochain

Alain Cochard

Festival Piano aux Jacobins, Toulouse, les 9 et 10 septembre 2009 Prochains concerts du 30e Festival : http://www.pianojacobins.com/

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Photo : DR
 

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