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Constellations par le Ballet de l’Opéra du Rhin - Surprenantes Pléiades - Compte rendu

Noir c’est noir, telle la dominante absolue du spectacle sur lequel Ivan Cavallari referme le trop court épisode rhénan de sa riche carrière. Ces quelques saisons sur lesquelles il a imprimé sa marque sont un rapide échantillon de son éclectisme, de son ouverture et de l’indéniable élan qu’il a redonné au Ballet de l’Opéra du Rhin, tandis que les salles se remplissaient toujours plus. A preuve, nombre de bons danseurs qui s’y sont illustrés le suivent en septembre sur ses nouvelles terres, les Grands Ballets Canadiens de Montréal.
 
Pour exemple de ces nouvelles gammes offertes aux chaussons des danseurs, ce programme baptisé Constellations qui donne à découvrir trois chorégraphes très peu connus en France, Douglas Lee, Sébastien Perrault, et Ed Wubbe. Cavallari a l’intelligence de les placer sous le même angle avec ce titre prometteur, contrairement à l’Opéra de Paris, lequel, dans son récent spectacle de chorégraphes maison, s’est contenté d’aligner quatre noms ! Mais la folie, l’étrangeté, voire la cruauté imprègnent ces trois pièces, qui toutes parlent d’une descente aux enfers de l’inconscient, de la solitude, de la violence, de l’inconnu psychanalytique et pour tout dire du néant, bien plus que ce que le beau titre qui les réunit pourrait laisser espérer d’envol vers un infini. Avec toutes trois une recherche esthétique qui leur donne grande allure.
 
Dans Ophelia, madness and death, déjà donné ici en 2015, l’Anglais Douglas Lee explore avec des silhouettes fantomatiques, qui glissent ou se projettent vers le vide des âmes mortes, un monde sinistre qui symbolise la folie et les obsessions d’Ophélie, sanglée dans son ébauche de costume élisabéthain. Cette pièce austère, épurée, mortifère, est jouée sur des musiques de Purcell et de David Lang. Et admirablement recréée avec notamment pour une image finale inoubliable, la silhouette longiligne et graphique de Hamilton Nieh, l’un de ces beaux danseurs qui quitteront la compagnie à la rentrée. 

Le Vaste enclos des songes (chor. Sébastien Perrault) © Jean-Luc Tanghe
 
Fort heureusement, même si la pièce ne respire pas une gaieté folle, Le Vaste enclos des songes, création qui lui succède, témoigne d’une plus grande vitalité. Encore que…Qualifiée de « dédale utopique » par son auteur, Sébastien Perrault, Français que l’on voit peu à peu émerger, elle aussi baigne dans le noir, et s’ouvre puis se déploie sur une remarquable construction graphique. Les personnages se superposent, se fondent, s’entrecroisent avant de s’entrechoquer dans un frénétique bacchanale martelée sur une séquence musicale lourdement répétitive, signée du chorégraphe lui-même : inexorable, elle semble conduire les corps à une déshumanisation par le rythme. Un pandémonium d’être déstructurés. Impressionnant et très accrocheur. 
 
Enfin, la palme de la noirceur et de l’intensité, est à décerner au très talentueux Néerlandais Ed Wubbe, qui dirige le Scapino Ballet de Rotterdam. Plus âgé que les deux autres chorégraphes, lui a déjà fait la preuve de son talent parfois nihiliste et toujours surprenant. Sa création, Dans le ciel noir (photo), est tout simplement magnifique. Construite sur des partitions italiennes de la grande époque baroque, elle déroule dans des costumes XVIIe merveilleusement sophistiqués, qui mêlent les sexes de façon astucieuse et non plaquée artificiellement, comme il arrive fréquemment, une farce cruelle où les personnages passent du ricanement à la violence et à la lubricité avec des contours théâtraux autant que dansés. L’aiguille est toujours prête à entrer dans la danse, la plaie vive de l’âme et du corps toujours prête à s’ouvrir, tandis que ces sordides ou apeurés fantoches de luxe, dans leurs beaux habits aux reflets de froid argent, tournent autour d’une cantatrice, Coline Dutilleul, issue de l’Opéra Studio de l’ONR, laquelle baroquise avec délectation, malgré des aigus un peu changeants, et minaude effrontément. Entre Kylian pour la subtilité froide et Preljocaj pour la cruauté charnelle, Wubb donne ici une chorégraphie effrontément moderne, même s’il y conserve toute la grammaire classique dont il est intelligemment porteur.
 
Pièce ensorcelante, dont le chef Wolfgang Heinz, qui dirigeait l’Orchestre symphonique de Mulhouse, a fait valoir, entre deux bandes enregistrées pour une partie du spectacle, toute la violence perverse. Et bien des pistes ont été données au cours de ce spectacle riche de son unité et de son éloquence inquisitrice, où rien n’avait la tonalité parfois festive d’une fin de saison. La compagnie en a épousé les problématiques gestuelles et psychologiques avec une sensibilité et des corps à vif. Sombre, mais pas morne soirée.
 
Jacqueline Thuilleux

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Constellations - Strasbourg, Opéra, le 22 juin ; prochaines représentations, les 24 et 25 juin 2017 / www.operanationaldurhin.eu/danse-2016-2017--constellations-ballet-opera-national-du-rhin.html  
 
Photo (Dans le ciel noir, chor. Ed. Wubbe) © Jean-Luc Tanghe

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