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Così fan tutte au Palais Garnier - Chant chorégraphié - Compte-rendu

Les chorégraphes, qui donnent mouvement à la musique, savent souvent mieux transmettre l’opéra que certains metteurs en scène venus du théâtre parlé trop portés sur la seule intrigue. C’est ainsi une excellente idée que d’avoir confié à Anne Teresa De Keersmaeker, étoile brillant au firmament chorégraphique international, la nouvelle production de Così fan tutte à l’Opéra de Paris.
 
La réalisation ne déçoit pas, même si elle peut surprendre. Le décor choisi est son absence, ou plutôt un plateau vide, laissant à nu la grande scène de Garnier dont les murs et plafonds sont peinturlurés de blanc, comme le plateau, émaillé cependant de tracés géométriques, pentagrammes, cercles et spirales. Avec pour seuls éléments de décorum, des panneaux vitrés sur les côtés, enserrant judicieusement le son et clôturant les entrées et sorties de scène, et… une bouteille de whisky assortie de trois verres, auxquels s’abreuvent par intermittences les protagonistes (hommes, comme il se doit). Le ton est donné, celui d’une lecture abstraite ne laissant de la trame que ses symboles. Et ceux-ci sont suffisamment forts dans le chef-d’œuvre de Mozart, et suffisamment connus, pour laisser le champ libre à d’autre interprétation qu’une banale mise en image du livret.
 

© Anne Van Aerschot

Le jeu scénique dessine ainsi une esthétique de gestes et postures hors de toute convention, par groupements d’intervenants scrupuleusement accordés (y compris le chœur, dans un alignement au cordeau) ou par individualités, pour des solistes démultipliés des ébats tournoyants de leurs doubles dansés ; ces derniers recrutés de la Compagnie Rosas (les impeccables Cynthia Loemij, Samantha van Wissen, Julien Monty, Michaël Pomero, Boštjan Antončič et Marie Goudot), dans une exacerbation corporelle du propos musical et de ses sentiments. Un placage à froid où la puissance du message et sa transcendance se retrouvent intériorisés. On apprécie aussi le respect des contraintes opératiques, qui réserve les chanteurs au premier plan devant les feux de la rampe, laissant les danseurs épancher leurs tourbillons dans un second plan de scène. Avec qui plus est, dans cet arrière-plan, une autre forme de mise en abyme… Les costumes parlants, signés An D’Huys dans des tonalités d’un XVIIIe siècle décalé, les lumières sépulcrales conçues par Jan Versweyveld, comme l’appoint de la dramaturgie bien pensée de Jan Vandenhouwe, participent de cette approche d’une incandescence glacée.
 
Ainsi à découvert, comme l’œuvre, les chanteurs solistes ne faillissent pas. Le trio vocal masculin fait la pige au trio féminin, comme il se doit pour cette joute des rapports rivaux des deux sexes, dans un chant bien réparti. Frédéric Antoun figure un Ferrando sensible et constant, dans son émission rompue au style baroqueux. Philippe Sly campe un Guglielmo assuré et Paulo Szot livre un Don Alfonso à la noirceur de circonstance. Jacquelyn Wagner dispense une Fiordiligi à la projection triomphante, bien qu’un peu rêche dans ses ornements. Michèle Losier lui répond en une Dorabella d’un phrasé délicat. Alors que Ginger Costa-Jackson plante une Despina ferme et railleuse à souhait. Et les uns et les autres de s’associer avec élan quand il faut.
 
Ce serait plutôt du côté de la fosse que le tempérament paraît faire défaut. Entre deux Lohengrin à la Bastille (1), Philippe Jordan met beaucoup d’énergie dans sa direction. Mais Mozart semble décidément moins bien lui réussir que Wagner, pour un résultat qui confine parfois à la brutalité sans toujours parvenir à une dynamique de la couleur d’orchestre. S’installe ainsi un trop constant mezzo-forte, qui ferait regretter les éclats crus ou les subtilités diaphanes auxquels nous ont habitués les formations baroqueuses (sachant qu’il s’agit de l’orchestre conventionnel de l’Opéra de Paris, ou plutôt de l’un de ses deux orchestres). Les cuivres n’évitent pas toujours les couacs, et le chœur pour sa part n’échappe pas à quelques décalages. Étrangement, la battue de prime abord d’une vivacité appropriée, tend par la suite insidieusement à s’alanguir. Mais l’ensemble, chant et orchestre, reste ardemment maintenu. À revoir et réécouter après ce premier rodage… Puisque les représentations se poursuivent pour huit dates, et que la production est programmée pour la prochaine saison de l’Opéra de Paris.
 
Pierre-René Serna

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Mozart : Così fan tutte – Opéra de Paris, Palais Garnier, 26 janvier ; prochaines représentations les 28, 31 janvier, 4, 7, 10, 13, 16 et 19 février 2017. Reprise du 16 septembre au 8 octobre 2017 / www.concertclassic.com/concert/cosi-fan-tutte-1
 
1) Voir le compte-rendu :
www.concertclassic.com/article/lohengrin-lopera-bastille-la-face-tourmentee-du-heros-jonas-kaufmann-en-son-royaume-compte
 
Photo © Anne Van Aerschot

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