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Coup de cœur Carrefour de Lodéon & Concertclassic - « Je me sens bien chez Debussy » - Une interview de François-Xavier Roth, chef d’orchestre

Le 31 janvier à Nîmes puis le 2 février à Paris, François-Xavier Roth et son orchestre Les Siècles proposent un passionnant programme Debussy et Hurel, où figure en particulier la création de la Première Suite pour orchestre de Claude de France, une composition de jeunesse dont l’orchestration a été terminée par le compositeur Philippe Manoury. Concertclassic en a profité pour interroger un chef dont l’activité se partage entre Les Siècles, orchestre « de projets » sur instruments d’époque né en 2003, et des formations permanentes telles que la SWR Sinfonieorchester Baden Baden & Freiburg, dont François-Xavier Roth est Chefdirigent depuis la rentrée 2011. « J’essaie de transporter les qualités des uns et des autres avec moi et cela se transmet de l’un à l’autre de manière très naturelle », dit l’artiste de cette enrichissante alternance.

Certains membres de formations modernes ne sont-ils pas parfois un peu intrigués par votre activité à la tête des Siècles ?

François-Xavier ROTH : Oui et je crois que c’est aussi ça qui intéresse les orchestres, tels que la SWR ou le London Symphony Orchestra, avec lesquels j’ai la chance de travailler ; on connaît mon ouverture d’esprit sur les répertoires, le besoin d’acuité stylistique que je manifeste envers chacun d’entre eux. Après il y a bien évidemment le côté un peu « exotique » des Siècles, qui est un orchestre de projets, très différent d’une formation permanente. Depuis longtemps déjà je constate beaucoup d’intérêt pour mon travail avec les Siècles ; dans chaque pays que je visite on me pose toujours beaucoup de questions à ce sujet.

Vous allez bientôt retrouver Les Siècles pour un concert Debussy à Nîmes puis à Paris. Quel rapport entretenez-vous de façon générale avec ce compositeur ?

F.-X. R. : C’est une musique que j’ai toujours fréquentée, d’abord comme flûtiste, ce que j’étais au départ. Debussy écrit merveilleusement pour les bois et la flûte en particulier. En tant que chef d’orchestre j’ai très tôt eu la chance de diriger Debussy.

Quelle a été la toute première œuvre que vous avez abordée ?

F.-X. R. : Le Prélude à l’après-midi d’un faune, puis La Mer. Je me sens vraiment bien chez Debussy. Ce qui m’a toujours fasciné avec ce musicien c’est qu’il présente des visages très différents : on ne peut pas comparer par exemple Pelléas avec les Danses sacrée et profane pour harpe, ni le Debussy de La Mer avec celui des Children’s Corner.

Comment a été conçu les programme que vous allez bientôt donner ?

F. X. R. : Le thématique du faune y est très forte puisque nous jouons à la fois le Prélude et Phonus pour flûte et orchestre, une pièce de Philippe Hurel écrite en 2003-2004 et directement inspirée de l’ouvrage de Debussy. Nous abordons par ailleurs un Debussy plus rare avec d’abord la Fantaisie pour piano et orchestre sous les doigts d’Alain Planès, qui sera donnée dans sa deuxième version, mais aussi cette exclusivité que constitue la Première Suite. C’est une œuvre qui n’a jamais été jouée par les orchestres. Sur quatre mouvements, Debussy n’en a orchestré que trois et nous avons demandé à Philippe Manoury de terminer l'épisode intitulé Rêve. C’est un plaisir de se trouver dans la musique d’un jeune Debussy encore étudiant au conservatoire, qui subit plein d’influences (Lalo, Delibes, etc.) mais possède déjà sa personnalité. Quand on travaille cette musique et qu’on s’apprête à la jouer comme c’est notre cas bientôt à la Cité de la musique, je ne peux que regarder avec surprise le fait qu’un inédit pour piano de Brahms qui vient d’être découvert va être créé sous peu et qu’en France nous avons un rapport avec notre patrimoine musical toujours un peu distant et timide. Il y a très longtemps que les musicologues savent que cette Première Suite existe et pourtant elle n’est créée qu’en ce début 2012. Les Siècles sont ravis de la faire connaître !

Toujours avec Les Siècles, vous dirigez Idomeno de Mozart au Théâtre de Caen puis au Grand Théâtre du Luxembourg en mars dans une production mise en scène par Yannis Kokkos. Le lyrique n’est pas un domaine auquel on vous associe immédiatement. Quelle place occupe-t-il exactement dans votre activité ?

F.-X. R. : L’opéra, si l’on n’en fait pas tout le temps, les gens ne savent pas que vous en faites. J’ai commencé comme assistant, notamment de Gardiner pour Les Troyens, Falstaff et Benvenuto Cellini. Le premier opéra que j’ai dirigé a été Pelléas en 2002 au Théâtre de Caen. Depuis lors je dirige en moyenne deux ou trois productions lyriques par an, plus à l’étranger qu’en France. J’ai par exemple eu le plaisir de participer à une très belle production des Contes d’Hoffmann l’année dernière à Berlin, et j’ai aussi dirigé Les Brigands à Paris. J’aime diriger l’opéra mais je ne fais pas que cela ; c’est ce que qui sans doute explique que d’aucuns oublient parfois cet aspect de mon travail.

Revenons aux Siècles : n’avez-vous pas le sentiment que dans le difficile contexte économique actuel, la souplesse de fonctionnement d’une telle formation est susceptible de faire des émules ?

F.X. R. : Ce qui me semble en tout cas salutaire dans la crise économique mais aussi sociétale que nous traversons c’est de remettre en question un certain nombre de choses. En ce moment tout le monde est obligé de se remettre en question. Pour des artistes quels qu’ils soient cela fait partie de leur quotidien. Si l’on s’interroge plus spécifiquement sur ce qu’est un orchestre, sur la manière dont il doit s’organiser, rayonner, vivre dans une cité, dans un pays, cette remise en question est de toute manière salutaire. J’ai toujours pensé que l’Orchestre n’est pas quelque chose de monolithique. On peut avoir des orchestres qui ont un rayonnement très fort dans des villes et des territoires limités, et la permanence de l’emploi est dans ce cas une chose très importante , et puis on a aussi des orchestres d’un genre différent qui travaillent plutôt sur des projets et qui ne se retrouvent pas d’une semaine sur l’autre dans la même salle.

Ce que je crois très important, et qui a sans doute beaucoup manqué dans notre pays jusqu’à maintenant, c’est cette réflexion de fond sur la manière dont un orchestre doit rayonner, sur le devoir de se déployer qu’implique l’argent public. Je ne veux pas opposer orchestres permanents et de projets ; les deux peuvent et doivent coexister, mais ce qui est fondamental et commun aux deux est la nécessité de ne pas « s’asseoir » sur la subvention en se disant qu’elle est pérenne. Les chefs d’orchestre voyagent beaucoup et peuvent se rendre compte des difficultés auxquelles sont confrontés certains musiciens. Je songe en particulier au Royaume Uni où j’ai débuté ma carrière et où, depuis le début, je vois à quel point les musiciens doivent, pour exister, redoubler d’efforts jour après jour et travailler comme des titans. Rien n’est acquis, surtout pour l’orchestre, machine qui coûte cher ; il faut sans cesse se remettre question et voir comment une formation peut rayonner dans un pays ou dans une ville.

Quels sont les principaux projets des Siècles dans les mois à venir ?

F.X. R. : Debussy sera très présent. Après le concert de la Cité de la musique, nous allons partir en tournée avec un programme incluant La Mer. Théodore Dubois, un compositeur que nous avons beaucoup défendu les saisons passées, sera également présent dans des programmes où sa musique rencontre celle de Debussy. Quant à nos projets lyriques, ils comprennent entre autres la création en version de concert de l’opéra Caravaggio de Suzanne Giraud.

Par ailleurs il y toutes ces actions pédagogiques qui nous sont très chères et que nous continuons à mener, aussi bien dans le département de l’Aisne où l’orchestre est désormais bien implanté, que partout où nous nous promenons en France comme à l’étranger. La saison prochaine nous poursuivrons l’odyssée des Ballets Russes amorcée l’an dernier avec L’Oiseau de feu. Nous préparons toute une série de programmes avec Le Sacre du printemps et Petrouchka sur instruments d’époque. Le grand succès qu’a remporté l’enregistrement de L’Oiseau de feu (1) nous pousse à continuer dans cette voix.

Propos recueillis par Alain Cochard, le 16 janvier 2012

(1) CD Musicales Actes Sud/ dist. Harmonia Mundi

Prochains concerts de l’orchestre Les Siècles, dir. François-Xavier Roth
Œuvres de Debussy et Hurel
31 janvier – 20h30
Nîmes – Théâtre
www.theatredenimes.com

2 février – 20h
Paris – Cité de la musique
(dans le cadre du cycle « L’esprit Debussy »)
www.citedelamusique.fr

Site de l’orchestre Les Siècles

> A écouter mercredi 25 février 2012 dans l'émission Carrefour de Lodéon et à réécouter pendant 15 jours sur internet

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Photo : Céline Gaudier
 

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