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Coup de cœur Carrefour de Lodéon & Concertclassic - L’éveilleur de beauté - Henri Barda inaugure le 33ème Festival Piano aux Jacobins


Les apparitions d’Henri Barda en France sont trop rares. Avec quelle impatience guette-t-on le récital qu’il donnera le 4 septembre en ouverture de la 33ème édition du prestigieux Festival Piano aux Jacobins de Toulouse - une fête du clavier où, trois semaines durant, se côtoient des artistes reconnus et de nombreux talents à découvrir.

Un CD (1) enregistré en 2008 en concert au Japon – pays fidèle à Henri Barda depuis de longues années – a rappelé il y a quelques mois la place éminente occupée par un interprète au parcours singulier. Portrait d’un éveilleur de beauté.



Famille installée depuis plusieurs générations au pays des Pharaons : c’est au Caire qu’Henri Barda voit le jour dans un milieu d’excellents musiciens amateurs (un père pianiste, violoniste et compositeur ; une mère chanteuse). Doté de l’oreille absolue, le gamin reproduit au piano les mélodies qui le séduisent et improvise avec une facilité tout aussi déconcertante.
Vers cinq ans, on le présente à Ignace Tiegerman(1893-1968) (2), pianiste polonais ancien élève de Friedman et de Leschetitsky, installé sous le soleil égyptien depuis 1931 en raison de l’asthme chronique dont il souffre. Mais ce n’est que plus tard qu’Henri Barda tirera profit de la leçon de naturel et de liberté dont le jeu de Tiegerman est porteur. Pour l’instant Sela Menaszes (épouse d’un professeur de violon au Conservatoire Tiegerman du Caire) le guide avec sûreté - une remarquable pédagogue dont le pianiste avoue « chérir la mémoire ».



Henri Barda a 16 ans lorsque l’affaire de Suez contraint sa famille à quitter l’Egypte pour Paris, qu’il connaît depuis un voyage effectué quatre ans plus tôt. Une grande rencontre l’attend … « On savait que l’on fréquentait un homme éminemment respectable, qui ne parlait pas de lui – il avait pourtant beaucoup souffert de la disparition de son fils pendant la guerre - mais seulement de musique » : Lazare Lévy (1882-1964) marque son élève par sa « détestation de l’afféterie, des manières ». Peu d’exercices, le célèbre pédagogue préfère le confronter à des chefs-d’œuvre de Beethoven, Brahms, Fauré ou Tchaïkovski. Décisifs à cette étape du parcours d’Henri Barda, les cours privés avec Lazare Lévy se poursuivent parallèlement au séjour – trop bref car le surdoué brûle les étapes – qu’il effectue au Conservatoire de Paris (dans les classes de Joseph Benvenuti pour le piano et de Jean Hubeau en musique de chambre).



En 1967, un bourse permet à Henri Barda de s’envoler pour New York où il travaille quatre ans durant à la Juilliard School avec Beveridge Webster et Carlos Buhler, un ancien élève de Busoni et de Cortot dont le sens de l’humour et la curiosité pour la littérature et la peinture contribue à faire naître une solide amitié avec l’étudiant français.

La Juilliard School est alors « une pépinière de gens extrêmement doués », se souvient Henri Barda. La vie culturelle de New York le comble. A quatre reprises durant son séjour américain, il entend Vladimir Horowitz en concert. Un aîné qu’il adule depuis la découverte de quelques enregistrements en 78 tours – dont deux sonates de Scarlatti qui l’auront marqué « à vie ». La place « à part » que le virtuose occupe à ses yeux s’affirme plus encore.
Au New York City Ballet, le pianiste découvre les chorégraphies de Jerome Robbins, personnalité qu’il retrouvera plus tard à Paris, cette fois pour participer à différents spectacles à Garnier : In the Night, Dances at the Gathering, The Concert, Other Dances. Mais les rapports avec le génial chorégraphe ne seront pas toujours simples…



Rien de plus révélateur sur la nature profonde d’un interprète que ses points de vue sur la pédagogie. Henri Barda avoue avoir « adoré » les douze années passées au Conservatoire National Supérieur de Paris et poursuit aujourd’hui son activité à l’Ecole Normale. Tout le contraire du maître pontifiant qui, du haut son expérience et de son savoir, « révèlerait à l’élève le style de Mozart ou de Schubert ». Henri Barda s’avoue « terriblement ennuyé par la manière qu’on certains de se croire le patron lorsqu’ils abordent un chef-d’œuvre. « Je préfère laisser faire la musique à travers moi », confie-t-il.

Interprétation ? Le pianiste parle plutôt d’un « éclairage » porté sur l’œuvre – à la condition impérative d’en avoir auparavant « recensé toutes les beautés ». « Il faut avoir tout vu dans partition » - c’est ce qui guide aussi Henri Barda dans son enseignement – pour parvenir à la pleine jouissance de ce moment privilégié qu’est le concert – « une expérience que l’on accomplit au présent ». Son enregistrement live des quatre Ballades de Chopin (1) en est un bel exemple : à d’autres les coups fumants longuement prémédités ; formidable narrateur Henri Barda sait « laisser place à la surprise » sans que l’ego de l’interprète n’altère jamais le propos de l’auteur. « Je suis une feuille blanche sur laquelle la partition peut s’imprimer et se transformer en sons » : belle leçon d’humilité dont Chopin (Préludes op 28) et Ravel (Sonatine, Valses nobles et sentimentales, Le Tombeau de Couperin) seront les témoins, mardi 4 septembre, dans le cadre magique du Cloître des Jacobins.

Alain Cochard



(Les propos cités dans cet article sont tirés d’un entretien réalisé le 28 janvier 2012)


(1) Œuvre de Brahms, Beethoven, Chopin / 1 CD Sisyphe/ 018 / dist. Abeille



(2) A ceux qui voudraient découvrir Ignace Tiegerman, signalons le double album « Tiegerman : the lost legend of Cairo » où tout amoureux de piano se doit de connaître un Intermezzo op 117/2 de Brahms, véritable leçon de legato et de cantabile pour l’éternité… Y figure aussi une attachante Méditation, de la plume de Tiegerman, sous les doigts d’Henri Barda. (2 CD Arbiter 116)


Récital d’Henri Barda

Œuvres de Chopin et Ravel

33ème Festival Piano aux Jacobins de Toulouse (du 4 au 28 septembre)

4 septembre 2012 – 20 h

Toulouse - Cloître des Jacobins


www.pianojacobins.com


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Photo : Jean-Baptiste Millot

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