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Coup de cœur Carrefour de Lodéon & Concertclassic - Pour l’amour des mots - Une interview de Stéphanie D’Oustrac


Depuis ses débuts à l’orée de la décennie 2000, la mezzo Stéphanie D’Oustrac a accompli un magnifique parcours et conquis le public par les qualités d’une voix doublée d’un irrésistible sens dramatique. Invitée du Midsummer Festival d’Hardelot (le 23 juin), l’artiste interprète un superbe programme franco-anglais intitulé «Les Nuits d’été » au cours d’un riche week-end où l’on trouve également l’Académie des Vingt-Quatre violons du Roy dirigée par Patrick Cohen-Akenine et la soprano Sophie Junker accompagnée par le King’s Consort. Mais Stéphanie d’Oustrac n’en a pas fini avec l’Angleterre : après sa participation à la 3ème édition d’un manifestation installée au Centre culturel de l’Entente cordiale, elle franchira le Channel cet été pour chanter Ravel au Festival de Glyndebourne.

Quel souvenir gardez-vous du moment où, en 2002, vous avez appris que vous étiez « Révélation » des Victoires de la Musique ?

Stéphanie D’oustrac : Une forme de jubilation. En même temps je ne suis pas du tout une bête à concours, je n’ai pas le sens de la compétition - je n’ai fait que très peu de concours et ça n’a d’ailleurs jamais bien marché. Nous étions trois mezzos « nominées », Elodie Méchain, Karine Deshayes et moi, il y avait une excellente entente entre nous. Nous nous étions dit : amusons-nous, faisons ce que nous savons faire. « Révélation » ? On se dit : c’est prometteur, il faut continuer !

Et que de chemin parcouru en l’espace d’une décennie ! Quand on regarde votre parcours, qui a débuté par des études de théâtre, il semble que le chant n’a été qu’une manière de mieux retrouver la scène ?

S. D. : Evidemment, le chant, la voix chantée permettent d’exprimer beaucoup plus de choses que la voix parlée. J’ai découvert l’opéra vers 15-16 ans et je me suis dit que c’était vraiment mon domaine.

Tous les commentateurs d’accordent pour saluer votre attention aux mots, la qualité de votre diction…

S. D. : Quand on aime jouer, on aime le personnage, on aime ce qu’il dit. Je ne suis pas adepte du chant pour la voix. En tant qu’ancienne timide j’ai besoin de me cacher derrière les mots ; j’ai besoin de porter le mot, son sens. Le mot porte la phrase et porte le personnage. J’écoutais ce matin à la radio un duo magnifique de Puccini… mais on n’y comprenait pas un mot ! Ce n’est pas ma façon d’envisager les choses ; je n’arrive pas à ne penser qu’au beau son, qu’à la belle ligne.

Quels sont les rôles qui vous ont le plus marqué, tant du point de vue humain que vocal, depuis vos débuts ?

S. D. : J’ai adoré Armide, même si la salle du TCE était presque trop grande pour ce répertoire, Sesto dans La Clémence de Titus, Carmen, Cybèle dans Atys, Lazuli dans L’Etoile de Chabrier aussi. Je suis frustrée de ne pas encore avoir incarné Médée de Charpentier sur scène.

Comment avez-vous réagi en apprenant que vous alliez être Cybèle dans la reprise de la mythique production d’Atys du tandem Villégier/Christie ?

S. D. : J’avoue que ça m’a fait peur au début car j’entendais parler de ce spectacle avec des étoiles dans les yeux – et je savais qu’un tel souvenir était inégalable. Passé ce moment, nous sommes lancés dans un travail d’équipe, nous nous sommes tous dit que nous avions la chance de pouvoir participer à la reprise de ce spectacle. Quel honneur, quelle chance folle !

Comment décririez-vous l’évolution de votre voix depuis une décennie ?

S. D. : Ça a été longtemps le répertoire baroque et c’est très bien ainsi. De façon naturelle, dirais-je, je vais désormais vers Mozart, Rossini, Berlioz aussi. C’est une évolution qui me paraît saine et normale ; même si je fais des choses très différentes et que l’on a du mal à me « cataloguer » puisque je passe de La Voix humaine au baroque, de Mozart à Rossini. On a du mal à me mettre dans une case et ce n’est pas plus mal !

Continuez-vous à travailler avec un professeur ?

S. D. : Oui, j’ai un professeur de chant et un orthoptiste. Avec ça… (rires)

Vous avez croisé beaucoup de metteurs en scène depuis vos débuts. Quelles sont les personnalités et les productions que vous retenez avant tout.

S. D. : J’ai eu beaucoup de bonheur à travailler sur Carmen avec Jean-François Sivadier. Ma rencontre avec lui a été très importante ; c’est un metteur en scène qui nous donne tellement de liberté. Je garde un grand souvenir aussi du travail avec Karl-Ernst et Ursel Herrmann à Amsterdam pour Idoménée, et avec David McVicar – le rôle de Sesto dans son Jules César est de ceux qui m’ont fait avancer.

Quels sont les grands rôles que vous envisagez d’aborder pour la première fois dans un avenir plus ou moins proche ?

S. D. : Rosine dans Le Barbier de Séville à la rentrée prochaine à Bordeaux, Dorabella à l’Opéra de Paris et Mélisande à Nantes, pendant la saison 2013-2014.

Y aurait-il un rôle auquel vous avez juste touché, en estimant que c’était finalement un peu trop tôt, et auquel vous aimeriez revenir maintenant ?

S. D. : Je pense que j’ai fait un peu tôt Ruggiero dans Alcina, rôle que l’Opéra de Lyon m’avait proposé. J’avais du mal à maîtriser et la voix et le jeu. Je le suis un peu laissée dépasser par mon tempérament dans une mise en scène qui était excessivement physique. Ça fait partie des rôles auxquels j’aimerais revenir avec l’expérience qui est aujourd’hui la mienne. Je vais avoir la chance de refaire Lazuli dans L’Etoile de Chabrier. La première fois, je ne dirais pas qui m’avait mise en difficulté et un peu déstabilisée. J’ai envie de refaire ce rôle pour retrouver le plaisir.

Vous donnez le 23 juin, au 3èmeMidsummer Festival du Château d’Hardelot, un récital « Nuits d’été » avec le pianiste Pascal Jourdan. Le programme s’ouvre par des mélodies de Jacques de la Presle, votre arrière-grand-oncle…

S. D. : Je connais l’ayant droit de Jacques de la Presle qui m’a passé pas mal de partitions parmi lesquelles, avec Pascal Jourdan, qui est mon partenaire de récital depuis le Conservatoire, nous avons sélectionné quelques mélodies, des pages charmantes avec des couleurs vraiment belles.

Mais, à côté de ces pièces et d’autres de Vierne, Debussy ou Delius, ce sont Les Nuit d’été de Berlioz forment le cœur de votre récital … Ce cycle figure-t-il depuis longtemps à votre répertoire ?

S. D. : Oui. Je l’avais pour la première fois donné dans un festival, partagé avec un ténor et un baryton. Seule, je l’ai chanté avec l’Orchestre de Lyon et Jun Märkl au Festival Berlioz de La Côte-Saint-André ; un souvenir extraordinaire – un rêve. Je suis particulièrement heureuse de le reprendre avec Pascal Jourdan. Nous nous connaissons tellement bien… ; je sais qu’il va m’offrir des couleurs aussi riches que l’orchestre.

Quant à l’été qui arrive, il serait anglais…

S. D. : Je serai en effet au Festival de Glyndebourne en août, pour du Ravel : Concepcion dans L’Heure espagnole et L’écureuil et La chatte dans L’Enfant et les Sortilèges (1)

Propos recueillis par Alain Cochard, le 6 juin 2012

(1) Mise en scène Laurent Pelly, dir. Kazushi Ono / www.glyndebourne.com

Site de Stéphanie D’Oustrac : www.stephaniedoustrac.com

Stéphanie D’Oustrac en récital au Midsummer Festival d’Hardelot

(avec Pascal Jourdan, piano)

Oeuvres de De la Presle, Vierne, Debussy, Delius, Bridge et Berlioz

Samedi 23 juin 2013 – 20h30

Château d’Hardelot – 62000 Condette 

www.chateau-hardelot.fr

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Photo : DR

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