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Création de Bérénice de Michael Jarrell au Palais Garnier - Mythe revisité - Compte-rendu

Berenice à l'Opéra Garnier

Poursuivant son cycle de créations d’opéras sur des textes tirés de grands classiques de la littérature française, l’Opéra de Paris étrenne cette fois Bérénice. La commande échoit à Michael Jarrell (né en 1958) qui s’inspire de la pièce éponyme de Racine (créée en 1670 – un an après l’institution de l’Académie royale de musique, l’ancêtre de l’Opéra de Paris) dont le livret reprend les tirades, pour partie écourtées ou réécrites. Disons d’emblée qu’il s’agit d’un spectacle parfaitement digne de son ambition, pour ce qui est de l’œuvre et de sa restitution.

Il faut croire que la pièce de Racine appelait la musique, tant par son sujet – celui des amours contrariées de l’empereur romain Titus pour la reine de Judée Bérénice – que par son message toujours actuel de tolérance entre les peuples, que par sa structure, ces dialogues rythmés en alexandrins qui laissent peu de place à l’action. Jarrell respecte cette donne de départ, tout en l’adaptant : c’est ainsi que trône un arioso déclamatoire, tout à fait approprié et lointain héritier du récitatif de la tragédie lyrique française. Au rôle-titre, Bérénice, revient toutefois des transports vocaux dans une façon de coloratoure, comme de juste pour ce rôle déchirant de femme abandonnée pour raison d’État. Seul personnage parlé, Phénice se permet quelques escapades hors chant et hors référence littéraire (avec même des tirades en… hébreu). On regrettera cependant que la déclamation insiste sur des dissonances parfois préjudiciables à la transmission musicale comme prosodique (merci aux surtitres !), au point que l’heure et demie de l’opéra paraît s’étirer. Le tissu orchestral se fait, lui, fouillé et coloré, intense et varié, comme Jarrell sait si bien le travailler. La toute fin de l’œuvre, diaphane avec la voix la soprano se mêlant aux timbres voluptueux de l’orchestre, résonne à cet égard comme un syncrétisme accompli. Après Cassandre, créé en 1994 (!) et repris régulièrement par la suite comme l’an passé au Théâtre de l’Athénée (1), ce second opéra de Jarrell, et autre sujet sur un mythe antique, répond à ses exigeantes promesses, quand bien même il aurait gagné à être plus resserré.

Berenice à l'Opéra Garnier

© Monika Rittershaus

Au Palais Garnier, l’interprétation tant musicale que scénique semble idéalement élue. Barbara Hannigan et Bo Skovhus sont les incarnations mêmes de Bérénice – et avec quels élans vocaux ! – et Titus, en bête de scène tragique. Ivan Ludlow présente pour sa part un Antiochus, le troisième partenaire de ce trio amoureux, frappant de vérité. On relève les jolis aigus de Julien Behr (Arsace) face à la sombre intervention d’Alastair Miles (Paulin). Pour sa part, Rina Schenfeld s’acquitte de sa Phénice parlée avec présence et prestance (et l’aide d’un petit micro).

L’orchestre, celui de l’Opéra de Paris, répond sans faillir aux ordres méticuleux de Philippe Jordan, immiscé pour une rare fois dans le répertoire contemporain au meilleur service de la musique de son compatriote (suisse comme notre chef d’orchestre), pour atteindre une réelle fusion avec les voix et s’épancher chromatiquement lors des trois interludes. Appoint discret du chœur, dans une partie enregistrée mêlée d’électroacoustique.

Berenice à l'Opéra Garnier

© Monika Rittershaus

Quant à la mise en scène, on ne saurait imaginer meilleure adéquation. Claus Guth choisit le huis clos de trois salons de palais en enfilade (imaginés par Christian Schmidt), reflet du huis clos qui enferme les personnages. Une direction d’acteurs précise à la gestique spectaculaire, des costumes d’un intemporel de notre temps (conçus par Linda Redlin), quelques vidéos projetées (signées « rocafilm », la société de Carmen Maria Zimmermann et Roland Horvath) d’images brumeuses de foules transhumantes, des lumières adaptées (réglées par Fabrice Kebour), complètent un moment fort de théâtre lyrique. On note à cet égard le traitement des passages d’interludes orchestraux comme autant de pantomimes. Puisque, mouvements, chants, instruments et décorum se conjuguent.

Pierre-René Serna

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Michael Jarrell : Bérénice (création mondiale) – Palais Garnier, Opéra de Paris, 2 octobre ; prochaines représentations : 5, 8, 10, 14 et 17 octobre 2018 /

www.concertclassic.com/concert/berenice-0 

(1) Voir le compte-rendu :

http://www.concertclassic.com/article/cassandre-au-theatre-de-lathenee-e...

© Monika Rittershaus

 

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