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David Théodoridès réagit à la chronique de Jacques Doucelin

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Directeur du Festival Sinfonia en Périgord, David Théodoridès a réagi à la chronique du 16 novembre dernier « Quel avenir culturel face aux malheurs de la taxe professionnelle ». Reflet des inquiétudes d’un homme « de terrain », il nous a paru intéressant de porter son point de vue à la connaissance des lecteurs de concertclassic.

Merci, Monsieur Doucelin,

D'envisager enfin, la question de la réforme des collectivités territoriales et ses conséquences sur de nombreux pans de l'économie, dont la culture.

En effet, dans cette réforme précipitée, autoritaire, et à courte vue, on propose de supprimer un impôt qui, certes du point de vue de l'économie des grandes industries et de quelques PME exportatrices, pouvait représenter un frein à la compétitivité. Elle était pourtant sans grande conséquence pour le consommateur et la compétitivité des entreprises, majoritaires en ce pays, du secteur tertiaire, dont la taille les prédispose essentiellement aux marchés intérieurs voire locaux.

Dans le département dans lequel je réside, le budget du Conseil Général est semble-t-il, en baisse et pour cause : avec la crise, et notamment la baisse des recettes fiscales, les charges des départements ne cessent de s’alourdir, compte tenu des nombreux transferts de compétences que l'Etat réalise depuis près de vingt ans (Personnes âgées, RMI puis RSA, FSL, routes nationales, Monuments historiques...).

Augmentation de charges, baisses successives de recettes (fin de la vignette automobile, aujourd'hui suppression de la TP et demain...), et compensations financières partielles par l’Etat : le compte budgétaire local n'y est pas. D'autant que les Cours des Comptes Régionales et les services de l'Etat veillent à ce que la loi LOLF soit bien appliquée par les collectivités territoriales. Les budgets locaux ne doivent pas être en déficit, contrairement au budget de l'Etat, d'où un recours massif à l'emprunt dont on sait aujourd'hui les conséquences pour certaines collectivités après la crise financière en 2008.

Vous disiez justement que ce débat n'est pas A PRIORI à sa place sur un site de musique classique, avant d'en justifier la présence. En effet, demain, et jusqu'en 2014 il faut s'attendre en France à une paupérisation de l'offre culturelle massive, tant en terme de qualité qu'en terme de quantité.

La suppression de la TP n'est en effet que la première étape, d'un projet bien plus large, à visée essentiellement électoraliste, visant à enrayer un lent processus qui pourrait amener les partis d'opposition, à devenir majoritaires à la Chambre haute, en réduisant le nombre des élus locaux, et les échelons territoriaux.

En clair, la première étape est la suppression d'une ressource dont le remplacement n'est pas assuré, et pèsera comme de bien entendu sur les citoyens, par le truchement de la Taxe foncière et de la Taxe d'habitation.

En conséquence, les collectivités auparavant soucieuses d'un équilibre entre citoyens (Taxe foncière et Taxe d’habitation) et entreprises (Taxe professionnelle), ayant attiré ces dernières sur leurs territoires en vue de collecter cette fameuse TP, et renforcer l’attractivité économique de leur territoire, auront dorénavant plus d'intérêt à favoriser l'implantation de collectif de logements de haute qualité, à même de compenser en valeur la TP, au détriment du logement social et de la vie économique. Nos cités moyennes risquent fort à ce rythme de se transformer en cités dortoirs.

La disparition du département au profit du tout régional, qui peut être pertinente dans certains cas de régions finalement peu étendues (Normandie, Nord, Ile de France...), sera un désastre en matière d'aménagement des territoires ruraux (Landes, Dordogne, Cantal, Charente...). En effet, ni la taille, ni l'activité de ces départements ne leur permettront de se développer, sans l'appui d'une collectivité territoriale proche et au fait des problématiques liées au monde rurbain, voire rural.

Le centralisme régional souhaité aura pour conséquence de recentrer 80% des investissements et budgets de fonctionnement sur les capitales régionales au détriment des périphéries.

Tout ceci Monsieur Doucelin, vous me direz, ne concerne en rien la culture. Et pourtant, quand, la paupérisation des départements sera accomplie, départements comme le mien en Dordogne, pour lequel le tourisme est la première ressource, devant l'agriculture et l'agroalimentaire, les moyens limités injectés par une région qui consacrera de moins en moins de budget au développement de territoires peu attractifs, la culture, déjà fragile sur ces terrains sera sacrifiée au profit des grandes institutions régionales, pourtant trop loin d'une population de plus en plus isolée culturellement, et socialement des services qui fondent le lien social.

La suppression d'un échelon suffisamment vaste pour avoir une idée de l'aménagement d'un territoire mais suffisamment proche pour en connaître les disparités locales, risque d'entraîner la suppression des aides aux festivals, aux saisons, aux théâtres de faible importance, etc., autant d’outils de l'attractivité territoriale, générant pourtant les ressources induites que vous mentionniez dans votre article, ressources (TVA, taxe de séjour, taxe professionnelle…) largement réinjectées dans l’action publique locale, circuit vertueux s'il en est.

Je crains fort, qu'au-delà de la question des moyens, notre exécutif ait tout bonnement décidé pour des raisons électoralistes, de jeter le bébé avec l'eau du bain. Ainsi, avec la disparition programmée des départements, leur paupérisation progressive, ce ne soit également la culture classique qui soit sacrifiée. Il est plus facile de réunir 20 000 personnes pour un concert de Johnny Hallyday que pour un récital de piano, quand bien même serait il assuré par Krystian Zimerman. L'économie de la musique classique, du théâtre classique, à l'occasion des festivals estivaux, risque fort de disparaître complètement, d’autant que la loi sur le mécénat ne rencontre pas l’écho suffisant pour compenser le soutien structurel des collectivités à la vie culturelle et assurer ainsi l’égalité culturelle des territoires.

Mais qui s'en inquiète...Peut être vous et moi.

Cordialement

David Théodoridès
Directeur général de Sinfonia

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Photo : DR
 

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