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Debora Waldman dirige la création mondiale de la "Symphonie de guerre" (1917) de Charlotte Sohy – Ainsi soient-elles – Compte-rendu
La musique française du XIXe et du début du XXe siècle regorge de trésors ignorés, la Symphonie op. 10 de Sohy est de ceux-là. Issue de la bourgeoisie industrielle – l’entreprise Durey-Sohy, spécialisée dans la voirie, le mobilier urbain (les bancs parisiens à dossier central entre autres), les pompes à incendies, etc. – Charlotte Sohy est née le 7 juillet 1887 dans un milieu cultivé qui la sensibilise aux arts et la conduit à entreprendre des études musicales à la Schola Cantorum : piano, harmonie avec Georges Marty, orgue avec Alexandre Guilmant puis Louis Vierne, sans oublier la composition avec le maître de l’établissement de la rue Saint-Jacques : Vincent d’Indy.
Autant dire que la musique est chose très sérieuse pour une jeune femme qui, à la Schola, rencontre le compositeur Marcel Labey, de douze ans son aîné. Coup de foudre : elle l’épouse en juin 1909. Un couple de compositeurs, la chose n’est pas courante. Pas facile non plus d'être une compositrice à l’époque : à l’instar de Mélanie Bonis qui se cache derrière Mel Bonis, Charlotte Sohy adopte le pseudonyme de « Ch. Sohy » – « Ch. » pour laisser imaginer un Charles ; clin d’œil son grand-père maternel –, sous lequel elle mènera son activité créatrice, en musique bien sûr, mais aussi dans le domaine littéraire, signant le livret de L’Esclave couronnée, drame lyrique d’après Selma Lagerlöf (achevé en 1921 et créé en 1947 au Grand Théâtre de Mulhouse, sous la direction d'Ernest Bour), ou celui de Bérangère, mis en musique par son mari.
1914, la guerre éclate ; Marcel Labey part sur le front. S’ouvre pour Charlotte Sohy une éprouvante période où elle croira son mari mort – la nouvelle lui sera officiellement annoncée – avant de le savoir sauf mais gravement blessé. La Symphonie en ut dièse mineur op. 10 porte la marque de ces sombres années. Si le titre « Symphonie de guerre » retenu pour le concert de Besançon n’est pas de l’autrice, il correspond en revanche totalement aux circonstances de la composition et au climat d’une partition élaborée entre 1914 et 1917 (version pour piano d’abord, orchestration en 1917). Ut dièse mineur, tonalité qui est aussi celle de la 4ème Symphonie de Magnard, ancien professeur de Marcel Labey, venu à la musique après avoir fait des études de droit.
Grâce à la confiance de l’Orchestre Victor Hugo Franche-Comté, Debora Waldman a pu mener à bien une entreprise à laquelle elle croyait – avec raison ! – passionnément. Plutôt que la solution de facilité qu’aurait par exemple constitué une ouverture de Beethoven et un concerto pour piano de Mozart, Beethoven ou Chopin en première partie, la formation a osé – c’est le mot ! – un programme entièrement féminin, joliment intitulé « Ainsi soient-elles », regroupant l’Ouverture en ut de Fanny Mendelssohn, le Concerto pour piano op. 7 de Clara Schumann et la Symphonie op. 10 de Charlotte Sohy, par deux interprètes féminines, Debora Waldman à la direction donc et Marie Vermeulin au clavier. Pas curieux le public nous disent certains « prograbâcheurs » ? Il a répondu en nombre en tout cas à Besançon où, il est vrai, une belle dynamique porte un orchestre métamorphosé depuis que Jean-François Verdier en a pris les rênes.
On situe vers 1830-1832, la composition de l’Ouverture en ut, unique réalisation purement orchestrale connue de Fanny Mendelssohn (1805-1847). Si Beethoven et Weber font sentir leur influence – ici comme sur tant d’autres auteurs ... –, la pièce séduit, vivifiée par la preste battue de Debora Waldman. Lumineuse, sa conception prélude idéalement au Concerto op. 7 de Clara Schumann (1819-1896).
La valeur n’attend pas ... Terminé en 1835 par une adolescente d’à peine seize ans, le Concerto pour piano – en la mineur comme le sera celui de Robert, achevé en 1845 (avec l’Allegro initial de 1841) – trouve en Marie Vermeulin une avocate convaincante et inspirée. Il vrai que l’univers de Clara Schumann lui parle car elle vient de signer (chez Paraty) un bel album (1) en solo mêlant sa musique (Soirée musicales op. 6, Romance) à celle de Robert (Scène d’enfants, Scènes de la forêt). Volontaire mais sans lourdeur, l’Allegro maestoso donne le ton d’une interprétation engagée, brillante (les compositeurs de style brillant, justement, ont à l’évidence marqué la jeune Clara), mais qui sait aussi, par le raffinement des couleurs et la subtilité des attaques, nimber le propos d’un halo de tendre poésie. Celle-ci resplendit dans la Romanze médiane (Andante non troppo con grazia), morceau chambriste dans lequel la pianiste noue un dialogue complice avec le violoncelle de Sophie Paul-Magnien. L’Allegro final se montre allant et piaffant comme son rythme de polonaise le requiert, mais – non troppo est-il précisé – Marie Vermeulin se garde de presser le trait et de céder à l’effet facile. D’une fierté décidée, au clavier comme au pupitre, le résultat paraît à l’image de celle qui fit chavirer le cœur de Robert Schumann. Robert, qui fournit son bis à la soliste avec la première des Scènes d’enfants.
« Œuvre mystère » annonce le programme de salle : l’orchestre Victor Hugo Franche-Comté joue décidement avec l’impatience d'un public pressé de découvrir l'ouvrage de Charlotte Sohy... Mais nous somme déjà en plein dans le sujet car le 3ème volet du 1er Quatuor à cordes op. 25 (de 1933, un Second, op. 33, suivra en 1947) de l’artiste française tient lieu de prélude à la seconde partie. Sous le titre Badinage, ce mouvement présente un caractère assez fantomatique, une grande mobilité et une fusion des timbres remarquablement mis en valeur par les archets de François-Marie Drieux, Szukwa Wu (violons), Dominique Miton (alto) et Sophie Paul-Magnien (violoncelle).
Lancée dans de nouveaux projets (lyriques) après la guerre, Charlotte Sohy ne fit pas exécuter sa Symphonie en ut dièse mineur, ce que l’on conçoit aisément s’agissant d’une œuvre étroitement associée à des heures douloureuses. Cent deux ans après son achèvement, le moment est enfin venu. Ce dans les meilleures conditions car François-Henri Labey, petit-fils de C. Sohy, a permis à Debora Waldman d’accéder à tous les documents relatifs à l’Opus 10 afin d’en mieux comprendre la gestation.
Un ouvrage en trois mouvements, long d'une trentaine de minutes, fidèle au système cyclique hérité de Franck via d’Indy ? Sans doute mais, par-delà les considérations musicologiques, on est d'abord supris par le degré d’aboutissement de la partition et la nécessité qui la porte. Par la palette orchestrale, l’imagination sonore de la compositrice aussi. La musique sourd des graves de l’orchestre et, dès les premières mesures, saisit l’auditeur pour ne plus le lâcher. Debora Waldman obtient un engagement sans faille d’instrumentistes émerveillés par la musique à laquelle ils donnent vie ... On les comprend : la Symphonie en ut dièse mineur n’a rien d’une simple « curiosité », c’est une grande partition ; elle s’inscrit dans la descendance directe de la Symphonie de Franck, mais parvient à une pleine autonomie par la force, le souffle – le contact de C. Sohy avec l’orgue se fait sentir – et l’humanité de son inspiration. « Symphonie de guerre » oui, et ardemment défendue par une splendide baguette ! Une soirée événement pour tous les amoureux de musique française.
Puisse cette passionnante découverte connaître un prolongement discographique. Quant au catalogue de Charlotte Sohy, ses 35 numéros n'attendent que la curiosité de interprètes ...
Alain Cochard
(1) www.concertclassic.com/article/debora-waldman-dirige-lorchestre-symphonique-de-bretagne-nouvelles-rencontres-et
(2) 1 CD Paraty 219218
Photo © Bernard Martinez
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