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Dernier concert avant relevage de l'orgue Cavaillé-Coll–Gloton-Debierre - Dix organistes à Notre-Dame d'Auteuil – Compte-rendu

Pour l'ultime concert à l'orgue Cavaillé-Coll–Gloton-Debierre de Notre-Dame d'Auteuil avant son complet relevage, Frédéric Blanc, organiste titulaire, a eu la belle idée d'inviter neuf collègues et amis – toutes générations confondues, l'un des aspects les plus sensibles et émouvants de cette soirée. Si chacun des dix musiciens n'eut que peu de temps pour se chauffer les doigts et l'esprit – mais que la musique fut belle ! : de Boëllmann à Vierne, de Beethoven (transcrit) à Tournemire via Mendelssohn et Pierné –, l'essentiel fut ce moment intense et chaleureux de partage autour de l'un des orgues les plus intéressants et attachants de la capitale. Ce fut peut-être aussi, pour le titulaire, une manière d'être moins seul en ce tournant de l'histoire de l'instrument qui, toujours lors d'un relevage, s'accompagne d'une part d'inconnu : comment sonnera-t-il après ce long silence, continuera-t-il d'arborer le séduisant équilibre entre poésie et puissance qui a toujours été la marque de ce Cavaillé-Coll singulier ?
 
Singulier, il l'est d'abord en tant qu'archétype et l'un des points de départ, à travers les deux étapes de sa construction, de la facture moderne en devenir, à la jonction de l'orgue symphonique selon Cavaillé-Coll (lui-même « trait d'union entre l'art ancien et l'art nouveau ») et de ce qui deviendra la mouvance néoclassique. C'est là qu'intervient la figure tutélaire de l'abbé Pierre-Henri Lamazou (1828-1883), appui et protecteur de Cavaillé-Coll. Vicaire à Saint-Sulpice (1854-1861), c'est grâce à lui que le grand Aristide obtient en 1855 l'entretien du vénérable Clicquot (1781), dans le gigantesque buffet de Chalgrin (orgue entre-temps revu par Callinet et Daublaine-Callinet), puis la construction de l'orgue de chœur (1858) et la reconstruction de l'orgue de tribune, inauguré en 1862 : l'abbé Lamazou publiera l'année suivante son Étude sur l'orgue monumental de Saint-Sulpice et la facture d'orgue moderne (« Librairie de E. Repos, 70, rue Bonaparte, à Paris », éditeur de la Revue de musique sacrée ancienne et moderne), étude accessible sur Gallica (1). En poste à la Madeleine quand Saint-Sulpice est inauguré, Lamazou devient curé d'Auteuil (1874-1881 – puis évêque de Limoges et, au moment de son décès, d'Amiens), s'investissant dans l'édification du nouveau sanctuaire, de style romano-byzantin, signé de l'architecte diocésain Joseph Vaudremer (déjà auteur de Saint-Pierre-de-Montrouge – puis de Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts – mais aussi de la prison de la Santé !). Et Lamazou de commander à Cavaillé-Coll, bien entendu, un orgue qui en cours de route sera en quelque sorte réquisitionné pour la grande salle du Trocadéro (1878), un instrument à cet usage n'ayant pas été prévu à temps… Lamazou passera donc commande d'un autre orgue (1884-1885) à Cavaillé-Coll, dont il ne verra pas l'achèvement – en reconnaissance de son action pour l'édifice et l'instrument, il sera inhumé sous le grand orgue d'Auteuil.
 
Doté à l'origine de deux claviers manuels, relevé en 1912 par Mutin, l'orgue est augmenté d'un Positif expressif par Gloton-Debierre en 1937-1938, tout en respectant pleinement l'harmonie des trois plans sonores Cavaillé-Coll (Grand-Orgue, Récit, Pédale). Pour cette restauration-agrandissement, on sollicite alors les conseils de deux musiciens réputés : Louis Vierne et Albert Alain. Demeuré intact et relevé en l'état par Jacques Barberis en 1984, l'orgue d'Auteuil sommeilla jusqu'à la nomination en 1999 de Frédéric Blanc, qui dès l'année suivante lui insuffla une vie nouvelle, ininterrompue à ce jour. Le concert initial fut donné par la fille de l'un des conseillers de 1937-1938 : Marie-Claire Alain.
 
On sait combien l'orgue, plus qu'aucun autre instrument, est ancré dans l'histoire et le patrimoine (y compris contemporain) : à la console, magnifique spécimen des années 1930 qui sera conservée et modernisée, se succédèrent le 4 novembre, tel un reflet de l'éternel recommencement des tribunes parisiennes : François-Henri Houbart (Madeleine), Michèle Guyard (longtemps titulaire de la Salpêtrière, puis de Saint-Merry à la suite de Norbert Dufourcq), Baptiste-Florian Marle-Ouvrard (Saint-Eustache), Raphaël Tambyeff (durant de nombreuses années à Notre-Dame-de-Grâce-de-Passy – lequel joua une pièce d'Henri Dallier : organiste de Saint-Eustache à la suite de Batiste puis de la Madeleine à la suite de Fauré, il inaugura l'orgue d'Auteuil, en 1885, au côté de Widor, organiste de Saint-Sulpice), Jean-Marc Leblanc (Saint-Merry et Saint-Thomas-d'Aquin), Olivier Penin (Sainte-Clotilde), Lionel Avot (Temple de l'Étoile), Thomas Ospital (Saint-Eustache), Vincent Crosnier (Enghien) et enfin Frédéric Blanc – qui fit retentir longtemps le dernier accord du Carillon de Westminster de Vierne, comme pour donner à chacun le temps de graver profondément dans sa mémoire le tutti d'Auteuil…
 
Après un appel d'offre national (2), les travaux de relevage ont été confiés (3) à la maison DFLO de Denis Lacorre (4), dont on sait qu'il entretient déjà certains des plus beaux Cavaillé-Coll de France. Sous l'égide de la Ville de Paris, propriétaire de l'église et de son mobilier, le financement du relevage de l'orgue d'Auteuil (212 148 € HT / ± 290 000 € TTC), est, pour une part considérable, pris en charge par la Mairie du XVIème et la paroisse d'Auteuil (5), par le biais notamment du mécénat. Le démontage de l'instrument débutera le 16 novembre, la durée prévue des travaux étant de quinze mois. Ils porteront principalement sur l'alimentation en vent, les transmissions, les sommiers, la tuyauterie (fortement empoussiérée) et la révision de certains jeux (cymbales notamment, datant sous leur forme actuelle des années 1960 et qui méritent assurément d'être repensées). Entre-temps, un petit orgue a été installé dans la nef : Frédéric Blanc envisage des concerts orgue et orchestre de chambre (par exemple pour des Concertos de Haendel) ou avec chœur, de manière à ne pas suspendre la vie musicale d'Auteuil durant cette période. Quant au grand orgue relevé, rendez-vous est pris pour Pâques 2017 !
 
Michel Roubinet

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Église Notre-Dame d'Auteuil, Paris, 4 novembre 2015
 
 
(1) Pierre-Henri Lamazou : Étude sur l'orgue monumental de Saint-Sulpice et la facture d'orgue moderne
gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6569419b/f12.image
 
(2) Appel d'offre national
centraledesmarches.com/marches-publics/75-Paris-Ville-de-Paris-Paris-75000-Relevage-de-l-orgue-de-tribune-de-l-eglise-Notre-Dame-d-Auteuil-sise-1-place-de-l-eglise-d-Auteuil-75016-Paris/1392008
 
(3) Attribution du relevage
www.marchesonline.com/appels-offres/attribution/relevage-de-l-orgue-de-tribune-de-l-eglise-notre-dame/am-6779413-1
 
(4) DLFO – Denis Lacorre
fr-fr.facebook.com/dlfolacorre/
gpfo.free.fr/entreprise.php?facteur=lacorre
 
(5) Mairie de Paris – « Projet de convention » et « Convention de mécénat avec l’Association Diocésaine de Paris pour le financement de l’opération de relevage du grand orgue de l’église Notre-Dame d’Auteuil » [pour un montant de 120 000 €uros, soit 41,38% du total]
http://a06.apps.paris.fr/a06/jsp/site/plugins/odjcp/DoDownload.jsp?id_entite=31315&id_type_entite=6
http://a06.apps.paris.fr/a06/jsp/site/plugins/solr/modules/ods/DoDownload.jsp?id_document=119372&items_per_page=20&sort_name=&sort_order=&terms=&query=&fq=seance_string%3ASEPTEMBRE%202014
 
 
 
Sites Internet :
 
Le Grand Orgue de Notre-Dame d'Auteuil
orgue.auteuil.free.fr
 
Frédéric Blanc, organiste titulaire
www.frederic-blanc.fr/notre-dame-dauteuil/sauvons-le-grand-orgue-cavaille-coll/
 
Photo © Christoph Martin Frommen (Disques Aeolus)

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