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Dialogues des Carmélites à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège – Au malheur des dames – Compte-rendu

 

 
L’Opéra Royal de Wallonie Liège a choisi une équipe entièrement féminine pour dialoguer avec l’œuvre poignante de Poulenc. Un vrai bonheur pour une fin de saison qui a affiché les Carmélites de Bordeaux (par Mireille Delunsch) à Glyndebourne (par Barrie Kosky). Marie Lambert-Le Bihan choisit de scinder l’ouvrage en deux parties, la première, intime, consacrée à Blanche et à son engagement ; la seconde aux seize religieuses jetées dans la violence révolutionnaire. À un dix-huitième siècle à peine suggéré va succéder une épure progressive. Le décor de Cécile Trémolières joue avec ces vitraux dépolis qu’affectionnaient les architectes des années 1950, puis le tourbillon des hommes emplira in fine l’espace nu livré aux lumières de Fiammetta Baldisserri.
 

© ORW-Liège - J. Berger

L’estrade en losange sur laquelle se déroule l’action s’élèvera alors vers le ciel, l’un de ses angles aiguisé comme la lame de la guillotine et les Carmélites chuteront dans la gueule d’une fosse commune. Seule Blanche, comme nimbée de sainteté, hésitera au bord du gouffre, sans que soit déterminé l’espace qu’elle rejoint. L’incertitude est d’ailleurs le reproche que l’on peut faire à cette vision classique, notamment lors d’une seconde partie peinant à caractériser des personnages rendus indistincts par le costume religieux.
 
Certes, les hauteurs philosophiques du livret tiennent plus de la méditation que de l’action et bien des lectures en sont possibles. Blanche de la Force est ici une femme cassante, éprise d’absolue, que les accents impérieux, souvent rageurs, d’Alexandra Marcellier, rendent peu sympathique. Sa quête relève d’un martyre à la limite du masochisme. L’humanité irradie au contraire Sœur Constance. Sheva Tehoval, voix agile, y met toute son ardeur faussement juvénile. Le timbre est lumineux et sera très applaudi. Julie Boulianne, vocalement armée telle une Donna Anna de l’intransigeance, est également remarquée, tout comme Claire Antoine en Madame Lidoine. Dans le rôle bouleversant de Madame de Croissy, la première Prieure, les couleurs chaudes et maternelles de Julie Pasturaud offrent de somptueux instants. Bogdan Volkov brille en Chevalier de la Force, orgueilleux misérable dont la mise en scène suggère que bien des caresses durant l’enfance de Blanche, son « petit lièvre », ne furent guère innocentes.
 

© ORW-Liège - J. Berger

Proie et poupée, c’est pour fuir cet absolutisme patriarcal que Blanche, en quête d’une mère et de sœurs, aurait choisi la clôture. Durant sa courte intervention en Marquis de la Force, Patrick Bolleire, déploie un sens exquis du récitatif mélodique propre à Poulenc. François Pardailhé donne à l’Aumônier tout le relief nécessaire. On reste plus réservé quant aux seconds rôles masculins, encore trop verts.
 

Speranza Scapucci © speranzascapucci.com 
 
En fosse, on se faisait une joie de retrouver la généreuse sensibilité de Speranza Scappucci. L’ancienne directrice musicale de l’opéra de Liège de 2017 à 2022 est accueillie chaleureusement par un public encore marqué de son empreinte. Comment ne pas louer cette battue souple et fervente, cette attention au talent de chaque pupitre (bassons, hautbois et cor anglais, à Liège toujours excellents) et la fine architecture d’un final pétri des grandeurs de Campra et des couleurs de Fauré ? Speranza Scappucci est de ces cheffes dont on guette toujours chaque apparition, à l’égal de Marin Alsop et de Simone Young.
 
Vincent Borel
  

 Poulenc : Dialogues des Carmélites - Liège,Opéra Royal de Wallonie, 21 juin ; prochaines dates les 23, 25, 27 & 29 juin 2023 // www.operaliege.be/spectacle/dialogues-des-carmelites-2023/
 
 
Photo © ORW-Liège - J. Berger

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