Journal
Doña Francisquita au Théâtre du Capitole - Exemplaire - Compte-rendu
Grand succès au Capitole pour Doña Francisquita ! Succès auprès du public, avec insistants rappels au moment des saluts, mais aussi succès de l’entreprise. Ce n’était pourtant pas une aventure ordinaire, ni gagnée d’avance. Il est rare que sous nos cieux les maisons lyriques osent une zarzuela, qui prend à rebours les habitudes de programmation, certes ; mais il faut surtout savoir réunir des interprètes, tant scéniques que musicaux, judicieusement appropriés. Ceci expliquant sans doute cela…
On ne peut donc que louer les forces mises en œuvre à l’Opéra de Toulouse. Il est vrai que la signature d’Emilio Sagi était déjà une garantie. Car ce metteur en scène au talent éprouvé, réclamé par les plus grandes maisons lyriques internationales, se double comme peu d’un subtil connaisseur de ce répertoire. Et il a en l’espèce de qui tenir ! Descendant d’une lignée de légendaires chanteurs spécialisés, il peut se targuer, au cours des trente-cinq ans de sa florissante carrière, d’une quarantaine de zarzuelas présentées dans les théâtres les plus variés (et y compris dans le temple du genre, le Teatro de la Zarzuela de Madrid dont il fut un temps directeur). Toujours dans une conception alliant finesse esthétique et justesse stylistique.
C’est ainsi que cette production au Capitole, reprise de celle de 2007 et supervisée à nouveau par Sagi, trouve d’emblée un climat poétique réglé au plus près. La chose n’est pourtant pas aisée ni facile, si l’on sait que Doña Francisquita fait intervenir une trentaine de personnages nommément désignés, dont une vingtaine pour de brèves mais significatives apparitions, en sus des rôles principaux et de la foule omniprésente du chœur. Il convient donc de conjuguer jeu d’acteur méticuleux et caractérisations clairement affirmées. Vertus indispensables, ici miraculeusement réunies, mais sans ostentation. La marque des grands, en quelque sorte ! Les petits métiers et passants ordinaires des rues de Madrid tiennent donc compagnie aux héros, eux aussi parfaitement crédibles dans leurs quiproquos amoureux. Puisque nous sommes vers 1840 dans un Madrid romantique à souhait, éternellement festif, reconstitué en 1923 par la nostalgie d’Amadeo Vives et ses deux librettistes. Les beaux décors d’Ezio Frigerio et les costumes façon époque de Franca Squarciapino contribuent à cette immersion hors du temps et de l’espace présents. Comme un rêve, et comme un regret… À cet égard et à titre de comparaison, la dernière production de la même œuvre au Teatro de la Zarzuela, dans son prosaïsme de tréteaux tel que nous avions vu en 2010, ne savait prétendre à la même puissance d’évocation.
Musicalement, les ingrédients participent d’une égale alchimie. Chacun des rôles, et jusqu’aux plus petits (nombreux, comme nous disions), se retrouve campé avec une pointilleuse adéquation. Elisandra Melián s’empare du rôle-titre avec le bagout que lui confère sa colorature aux aigus faciles. Une soprano qui devrait rapidement éclater sur toutes les scènes lyriques. Joel Prieto lui donne une solide réplique, avec vaillance mais sans débordements, pour le soupirant, Fernando qui ne déchoit pas face aux prestigieux ténors qui l’ont défendu dans un passé récent (Alfredo Kraus, Plácido Domingo, ou plus près de nous Ismael Jordi). Le mezzo ferme de Clara Mouriz soutient la pétulance d’Aurora, la beauté rivale, alors que Leonardo Estévez plante un Don Matías, le barbon de l’histoire, avec une assurance crâne. Excellents, tout autant, Jesús Álvarez, pour Cardona, l’ami du héros, Pilar Vázquez, pour Francisqua, la marâtre, César San Martín, pour Lorenzo, Marga Cloquell, pour Irene, Pablo García-López, pour le Sereno (ou gardien de nuit). Devant un efficace Orchestre national du Capitole, la battue acérée de Josep Caballé Domenech impose à tout ce beau monde une rigoureuse acuité, qui rend justice de la complexité inspirée de la musique de Vives.
Dans ce concert de louanges, les fausses notes seraient du côté du chœur, assez terne et poussif quand on attendrait l’élan de sa part. Peut-être au fil des représentations suivantes après cette soirée de première… Comme aussi d’une chorégraphie, conventionnelle et plutôt bien faite pour les moments qui s’y prêtent, mais devenue superfétatoire, racoleuse et perturbante, dans un flamenco hors de propos plaqué sur le magnifique interlude orchestral du « Fandango » (danse traditionnelle, qui n’est en rien du flamenco), avec un bruyant et importun zapateado (claquement de talons) qui couvre les instruments… L’assistance toulousaine en semble cependant ravie, qui déchaîne un tonnerre d’applaudissements. Petite concession aux goûts du public, gratifiante et gratifiée apparemment, qui ne saurait entacher l’exemplarité d’ensemble de cette vivifiante réalisation.
Pierre-René Serna
Amadeo Vives : Doña Francisquita – Toulouse, Théâtre du Capitole, 21 décembre ; prochaines représentations : 23, 25, 26, 28, 30 et 31 décembre 2014/ www.theatreducapitole.fr
Photo © Patrice Nin
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