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Entretien avec Bruno Messina, directeur du Festival Berlioz - « Un appel à la fraternité entre les peuples »
Directeur artistique du Festival Berlioz depuis déjà dix ans, Bruno Messina (photo) a su donner une nouvelle impulsion à cette manifestation sise à La Côte-Saint-André (Isère), le bourg natal du compositeur. Au fil des éditions, les interprètes de renom se sont succédés dans une programmation éclectique et imaginative. Et le succès a suivi auprès d’un public chaque année plus nombreux. Un festival qui désormais s’inscrit parmi ceux incontournables de l’été français.
Cette édition 2018 a choisi pour thématique le sacré. Avec une note d’humour dans son intitulé, tout à fait dans l’esprit de notre compositeur : « Sacré Berlioz !»… Mais ce sujet se prête aussi à des variations sur ce thème chez de nombreux autres compositeurs. C’est ainsi que des œuvres de Bach, Liszt, Sibelius, Beethoven, Haydn ou Monteverdi tiennent compagnie à Berlioz. De ce dernier, sont affichés les grands ouvrages sacrés : la Messe solennelle de toute jeunesse, le Requiem, L’Enfance du Christ, mais aussi des pages plus rares.
Les concerts se distribuent entre des récitals d’après-midi dans la petite église de La Côte-Saint-André et les grands concerts du soir dans l’auditorium provisoire installé à cet effet dans la cour du château de la bourgade. Avec les prestigieux noms interprétatifs auquel ce festival fait toujours une large part : John Eliot Gardiner et François-Xavier Roth, lui-même promu par la manifestation dès 2009 avant sa glorieuse carrière présente, mais aussi Jean-François Heisser, Laurence Equilbey, Hervé Niquet, Daniel Kawka, Henri Demarquette, Philippe Bianconi, Antoine Tamestit ou Roger Muraro. En compagnie des meilleures formations musicales et solistes vocaux : le Jeune Orchestre européen Hector-Berlioz (orchestre atelier sur instruments d’époque fondé par F.-X. Roth), l’Orchestre Ose, Insula Orchestra, le Concert Spirituel, English Baroque Soloists, Les Siècles, Orchestre Révolutionnaire et Romantique, Orchestre de l’Opéra de Lyon ; Véronique Gens, Vincent Le Texier, Toby Spence, Marie Lenormand, Éric Huchet, Dietrich Henschel, Sébastien Droy… Tout en conservant un aspect festif et ouvert ; depuis « Grande fête des moissons » dans un esprit rural et artisanal, bal d’époque romantique, défilé orchestral dans les rues, parade équestre, taverne musicale en fin de soirée, jusqu’à des participations d’enfants, des projets pédagogiques, des rendez-vous façon cabaret « Sous le balcon d’Hector » dans le jardin de la maison natale du compositeur, des rencontres et conférences… Sans oublier une visite à la maison natale, devenue Musée Hector-Berlioz, qui, sous l’égide de son entreprenant conservateur Antoine Troncy, s’impose toujours pour retrouver un parfum d’époque à travers la foule de documents et objets exposés.
Bruno Messina revient pour nous sur quelques moments marquants de cette programmation échevelée (90 manifestations, dont une quarantaine de concerts !).
Le sens du sacré est certes important chez Berlioz, au-delà même des nombreuses œuvres religieuses qu’il a écrites, tout en se proclamant lui-même « athée » voire anti-religieux. Comment traitez-vous cette ambiguïté dans la thématique de vos concerts ?
Bruno Messina : J’essaye de la traiter de la manière la plus complète possible. En partant de l’enfance, quand Berlioz à La Côte-Saint-André à l’âge de dix ans se donne à Dieu et à la religion catholique. À dix-sept ans vient la mise en doute, et puis c’est Paris, et puis les échecs, les histoires d’amour… Lui-même a de grands idéaux, il s’intéresse au mouvement saint-simonien et cultive des rêves de solidarité universelle. Il devient déçu par l’Église, déclarant à son fils : « Chacun pour soi et Dieu pour personne ! Voilà le véritable proverbe. » Un propos très nihiliste. En même temps, la religiosité chez Berlioz prend une extension au-delà de la religion instituée. C’est ainsi que jusque ses derniers opus, il persiste à écrire des œuvres d’esprit religieux. Mais le sacré pour lui est avant tout la musique, que concrétise cette profession de foi quand il dit que l’amour et la musique « sont les deux ailes de l’âme. » Une belle phrase, très forte, qui entend qu’il croit en une transcendance, nourrie par l’amour et la musique.
François-Xavier Roth © Marco Borggreve
Vous donnez les grandes œuvres religieuses de Berlioz, en dehors du Te Deum déjà exécuté en 2015, mais aussi des pages moins fréquentes. Ainsi Le Temple universel, une cantate d’un esprit religieux élargi, écrite tardivement à la fin de sa vie. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
B. M. : On peut y voir comme un geste délibéré, laissé à la postérité. Le message est très significatif, un appel à la fraternité entre les peuples : « Embrassons-nous par-dessus les frontières ! »… Un hymne européen aussi, avant l’heure. Quand j’en ai parlé à François-Xavier Roth, qui dirigera ce concert, il a été enthousiasmé. Berlioz avait même l’intention d’en faire une version bilingue, en français et en anglais alternés, dans le cadre de l’Entente cordiale avec l’Angleterre. Une idée tout à fait singulière, avant-gardiste… Ce texte anglais a malheureusement été perdu. Il nous reste deux versions, pour chœur seul et pour chœur accompagné à l’orgue. J’ai pensé alors présenter cette œuvre dans une version orchestrée, ce qui était le vœu de Berlioz. Car on sait qu’il en a ébauché une orchestration, depuis disparue. Nous avons ainsi pris le parti de réaliser ce projet : une version orchestrée donc, commandée spécialement à Yves Chauris à partir de l’accompagnement original d’orgue, et bilingue qui plus est comme Berlioz en avait rêvé.
Nous sommes en périodes d’anniversaires. Puisque l’année prochaine on commémore les 150 ans de la disparition de Berlioz et cette année sont célébrés les 200 ans de la naissance de Gounod. Vous avez ainsi choisi de confronter lors d’un concert les extraits de La Nonne sanglante, l’opéra inachevé de Berlioz, à des extraits de l’opéra éponyme de Gounod…
B. M. : Une manière d’opposer les deux esthétiques, sachant par ailleurs que Berlioz et Gounod étaient amis. Y compris après que Gounod avait repris ce livret de Scribe abandonné par Berlioz, mais avec son assentiment. Puisque le sujet est tiré du roman fantastique Le Moine de Lewis, l’idée est aussi, en collaboration avec le Palazzetto Bru Zane, de construire une soirée autour de cette vision fantomatique ; chez des compositeurs français contemporains, Massenet, Boieldieu, Alfred Bruneau... Un tour avec les fantômes de l’opéra !
Berlioz par Granville © DR
Et une manière de marquer déjà le prochain anniversaire de Berlioz…
B. M. : Nous serons en août, six mois avant le mois de mars où Berlioz devait décéder en 1869. Nous sommes donc à mi-chemin et avons choisi de célébrer en deux temps ce moment : pour cette édition et la prochaine, mais également au cours d’une année entière. Il y aura ainsi d’autres concerts hors festival, notamment pour les scolaires de la région, avec aussi de l’éducation populaire. Nous accompagnerons d’autres projets, avec des concerts du Festival repris par ailleurs, comme à la Philharmonie de Paris avec Le Temple universel dans la version créée chez nous. Et cela viendra se clore pour l’édition 2019 du Festival, portée davantage sur l’héritage berliozien.
Dans la présente édition, il y a deux concerts en miroir : « Légendes du Nord » et « Légendes du Sud », ce dernier spécifiquement avec des œuvres de Berlioz. Auriez-vous voulu faire un compositeur « du Sud » de celui qui proclamait « Moi, le musicien aux trois quarts allemand » ?…
B. M. : Mais en même temps, il dit : « Il faut découvrir les Méditerranées musicales ». Un mot nietzschéen avant l’heure ! Le rapprochement Berlioz / Nietzsche s’impose. Dommage que le philosophe allemand n’ait pas mieux connu sa musique ! Berlioz repense un grand mythe pour le Sud, dont Les Troyens, présents par des extraits lors de ce concert, constituent l’aboutissement. Ce pourrait être aussi une question de géomusicologie : La Côte-Saint-André est orientée vers le Sud !
Et pour 2019, année anniversaire, que prévoyez-vous ?
B. M. : Sans dévoiler le programme, car c’est un peu tôt, je ne voulais pas que le Festival 2019 soit le recyclage de ce qu’on aura vu et entendu pendant la saison. Nous allons donc nous axer sur l’héritage. Ce bilan, ce sera peut-être l’école russe, peut-être Ravel, et tout ce que Berlioz a permis. Mais je ne peux en dire plus pour l’instant.
Propos recueillis par Pierre-René Serna le 13 avril 2018
Festival Berlioz – La Côte-Saint-André, du 18 août au 2 septembre 2018 / www.festivalberlioz.com
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