Journal
Falstaff au Teatro Real Madrid – Joyeux lurons et gaillardes commères – Compte-rendu
Avec ses allures de clochard bienheureux porté sur l'alcool, le Falstaff imaginé par Laurent Pelly est une sorte de Boudu sauvé des eaux, hâbleur et sans gêne, ridicule mais diablement sympathique. Ses cheveux gras et raides, son énorme panse et sa mise négligée en font une figure, une personnalité à part dont il est bon de se moquer. Comment peut-il se permettre en effet de faire la cour à deux femmes de son village, bien sous tous rapports, qui plus est au nez et à la barbe de l'époux de l'une d'entre elles ? Adepte de la farce, sans jamais tomber dans la caricature, Pelly suggère le drame dans la comédie et révèle avec délicatesse la mélancolie dans laquelle évolue son personnage principal, pilier du bistrot où il a élu domicile, vivant seul parmi une communauté qui va se liguer contre lui, même si au fond personne ne sortira gagnant au bout du compte.
© Javier Del Real - Teatro Real
L'action située successivement dans un café tantôt minuscule, tantôt déployé sur toute la largeur de la scène, un intérieur tout en étages et en escaliers et une clairière stylisée, est d'une totale fluidité, chaque scène étant reliée à l'autre par d'invisibles fils et une logique imparable. A l'image de ces décors extravagants où le metteur en scène français aime à installer les histoires – la pyramide de bottes de foin de L'elisir d'amore, les toits de Paris de La Traviata, les armoires de Gianni Schicchi ou encore l’extraordinaire théâtre transformé en parking de Viva la Mamma ! – ceux créés ici par Barbara de Limburg(et par Chantal Thomas), surprennent et structurent très habilement l'intrigue, rythmée comme un incessant ballet.
Jeune colosse à la voix ample richement dotée du grave à l'aigu, Misha Kiria est un Falstaff aussi drôle que touchant, dont la douceur bonhomme peut alterner avec d'inquiétants éclats de colère. Ses acolytes, Pistola (Valeriano Lanchas) et Bardolfo (Mikeldi Atxalandabaso), comme le Dr Caius (Christophe Mortagne) ou même le Ford d'Angel Odena ont de l'énergie à revendre, seul le Fenton d'Albert Casals étant un peu fragile dans l'aigu. Petites femmes au foyer pimpantes dans leurs vêtements tout droit sortis des années soixante, Alice (Raquel Lojendio pleine d'allant), Quickly (Teresa Iervolino et ses graves chaleureux), Meg (pétulante Gemma Coma-Alabert) et Nanetta la petite dernière pleine d'entrain (Rocío Pérez), mènent la danse, toujours prêtes à conjurer le mauvais sort et à s'entraider pour sortir victorieuses des « épreuves » qu'elles sont amenées à rencontrer.
Daniele Rustioni © Blandine Soulage Rocca
Sans effet de manches superficiel, Daniele Rustioni dirige l'orchestre du Teatro Real avec beaucoup de justesse et une très nette jubilation, notamment dans les ensembles pris à des tempi suffisamment adroits pour mettre à jour la subtile mécanique verdienne.
François Lesueur
Verdi : Falstaff – Madrid, Teatro Real, 7 mai 2019
Photo © Javier Del Real - Teatro Real
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