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Faust à l’Opéra de Lausanne - Une belle ambition assumée - Compte-rendu

Ce Faust à l’Opéra de Lausanne aurait pu passer pour de la routine. Il n’en est rien ! Se révèle ainsi une production qui s’affirme comme une réalisation hors pair, tant musicalement que scéniquement. Le nom de Jean-Yves Ossonce à la tête des forces musicales constituait déjà une forme garantie, il est vrai ; mais on attendait peu du metteur en scène Stefano Poda. À tort. C’est ainsi qu’à une restitution ambitieuse, qui donne à entendre l’opéra de Gounod dans une version large et exigeante (avec, hors une partie du ballet, bien peu d’omissions parmi les différentes variantes de la main même du compositeur), répond une égale ambition côté conception scénique.
 
Au lever du rideau, le décor, appelé à devenir unique, déconcerte pourtant : un grand anneau noir, sorte de pneu Bibendum démesuré, au centre d’un espace dont il s’empare, flottant dans l’air, se renversant, se posant, enserrant les protagonistes ou leur prêtant ses contours pour de vaines escalades. Un peu gratuit, penserait-on d’emblée… Si ce n’est que ce cercle devient le creuset des situations et de leurs évolutions, en dehors de cristalliser maints symboles. Le reste du plateau se limite à un plancher et fonds de mur blanchâtres, recevant à l’occasion quelques projections de croix (ainsi qu’il convient). Le cercle dans le carré ! L’intention symbolique s’éclaire mieux et se prête à cette quête faustienne.
D’autant que les personnages, en foule ou individuellement, se plantent dans des actions d’une criante vérité. Les costumes, signés Stefano comme le décor, seraient ceux d’aujourd’hui, mais détournés dans un sens précis. Défilent ainsi des cohortes vêtues de rouge et de noir façon haute-couture, mais changeantes dans leurs apparitions millimétrées et immédiatement parlantes. Marthe n’est plus la matrone sur le retour, sinon une vamp affriolante, dont on comprend qu’elle séduise Méphisto. Seuls les rôles principaux, Faust, Marguerite, Méphisto, Valentin et Siebel, échappent à la convention d’une représentativité bourgeoise.
Le message est clair : les héros du drame en butte aux pesanteurs sociales. S’ajoute au fil du spectacle un côté messe noire, avec la transformation de la foule des assistants en diablotins dénudés et peinturlurés de bitume. Ce qui respecte exactement l’esprit de l’ouvrage, en sachant éviter les pièges du livret et tout en étant d’un mouvement saisissant. Par cette production, reprise de celle créée à Turin, Poda, présent surtout sur les scènes lyriques italiennes, démontre un talent peu ordinaire que l’on veut croire promis à une grande destinée internationale.
 
À cette adéquation scénique correspond celle de l’interprétation musicale. Ossonce parvient à insuffler à un Orchestre de chambre de Lausanne et au Chœur maison, assez rêches de prime abord, les changements de textures, la subtilité et l’allant, la vie incessante pour tout dire que cette partition réclame et qu’autorise pleinement l’écrin acoustique de l’Opéra lausannois. Un  seul exemple, entre cent, des nuances que sait prodiguer le chef : la trop fameuse scie « Gloire immortelle de nos aïeux », si souvent jetée comme une fanfaronnade trépidante, ici prise d’une délicatesse, entre pianos et forte, qui en renouvelle le propos – et se conforme, de fait, strictement aux indications de la partition.
  
Le plateau vocal, sans aligner de grands noms, réserve une excellente surprise. Tout d’abord pour la Marguerite de Maria Katzarava, prix Zarzuela du Plácido Domingo Operalia 2008, soprano d’une largeur de registre pourvu d’aigus bien profilés, que l’on a peu eu l’occasion encore d’apprécier sur les grandes scènes. Un choix magnifique ! Le Faust de Paolo Fanale ne dépare pas sa compagne du moment, ténor bien lancé, à l’endurance conquérante, sachant jouer d’un falsetto approprié quand il faut. On retient aussi le Valentin de Régis Mengus, baryton d’une belle ligne épurée. Se manifestent tout pareillement adaptés le Siebel de Carine Séchaye, la Marthe de Marina Viotti et le Wagner de Benoît Capt. Kenneth Kellogg serait un autre cas, Méphisto imposant mais qui montre vite ses limites. Et notons chez lui, comme chez Fanale, une diction perfectible, qui mâchouille des paroles devenues inintelligibles (entre ces « e » prononcés « é », et autres déviances langagières). Petit détail, non rédhibitoire… Face à une production dans l’ensemble enthousiasmante.
 
Pierre-René Serna

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Gounod : Faust – Lausanne, Opéra, 5 juin. Prochaines représentations les 8, 10 et 12 juin 2016 / www.opera-lausanne.ch/fr/accueil.html / Reprise du spectacle au New Israeli Opera de Tel Aviv.
 
Photo © M. Vanappelghem

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