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Festival de Prades 2014 – L’anniversaire des Talich et autres bonheurs chambristes - Compte-rendu

quatuor talich 2014 prades

Une soirée pour le 50ème anniversaire du Quatuor Talich (photo) au Festival Pablo Casals ? Rien de plus naturel s’agissant d’une formation qui témoigne d’une exceptionnelle fidélité envers Prades et son directeur musical, Michel Lethiec, depuis de longues années, tant pour les concerts que la pédagogie au sein de l’académie d’été du festival – heureux stagiaires…

La foule des grands jours est au rendez-vous à l’abbaye Saint Michel de Cuxa. L’ultime Quatuor en fa mineur op. 80 de Mendelssohn ouvre ce qui de bout en bout tiendra lieu de célébration de l’esprit chambriste. Aucune surenchère expressionniste, aucun angle tranchant dans l’Allegro vivace assai initial mais une tension intérieure et une urgence intensément vécues qui reflètent l’esprit d’une partition écrite sous le choc de la mort de Fanny. Homogénéité parfaite, richesse et profondeur des coloris : les moyens sont toujours parfaitement accordés au style et, sous de tels archets, on touche à ce que l’art de Mendelssohn comporte de plus secret (miraculeux Adagio ).

Le bonheur n’est pas moindre de suivre les quatre instrumentistes dans le 8ème Quatuor op. 110 de Chostakovitch. Là encore, point d’effet inutile, de surlignage dans l’approche d’une composition qui en dit tant sur la psyché du maître russe. Solitude, angoisse, effroi, ironie, ambiguïté : jusqu’aux ultimes mesures du second Largo, ténébreuses et fantomatiques, les Talich visent juste et traduisent la complexité d’une inspiration qui transmue l’individuel en universel.

Retour au pays pour le Quatuor Talich en seconde partie de soirée avec le 1er Quatuor en mi mineur « De ma vie » de Smetana. Dès l’intervention de l’alto si chaleureux et expressif de Vladimir Bukač (1) au tout début de l'Allegro vivo appassionato, un ton très narratif s’impose. Les Talich jouent dans leur arbre généalogique ! Vrai régal que ce mélange de bonhommie et de sensualité dans l’Allegro moderato alla Polka et, de façon générale, la veine rhapsodique qui caractérise une interprétation marquée du sceau de l’humanité et de la simplicité. Un Piazzolla (Libertango) et - choix de circonstance - quelques épatants « à la manière de » sur le Happy Birthday terminent le concert de la plus souriante manière.
 

philippe muller prades 2014

Philippe Muller © Nemo Perier Stefanovitch

Humanité et simplicité, tels sont aussi les mots qui s’imposent le lendemain pour parler de Philippe Muller et Emmanuel Strosser dans la vaste Sonate pour violoncelle et piano de Rachmaninov. Muller est un grand fidèle du festival et de son académie, un interprète trop discret et immense pédagogue aussi, qui a formé nombre de magnifiques instrumentistes au CSNMD de Paris (d’où il a pris sa retraite il y a peu). Le ton n’a rien de professoral dans la Sonate op. 19 mais… quelle leçon de violoncelle et de musique l’ancien élève de Navarra offre-t-il à un auditoire suspendu à la moindre inflexion de son archet.
Au piano, Emmanuel Strosser s’attache à toujours contenir la surabondance de sa partie tout en manifestant complicité et sens du détail. Le chant est roi sous un archet qui fait corps avec les longues phrases du jeune Rachmaninov sans une once de pathos. Que de secrets merveilleux, douloureux parfois aussi, Muller confie-t-il, avec une infinie pudeur. L’ovation du public de révèle à la mesure de l’accomplissement musical et poétique auquel il a eu le privilège d’assister.

Après le souriant Terzetto op. 74 de Dvorak placé en début de programme et enlevé dans une amicale complicité par Olivier Charlier, Kyoko Takezawa et Bruno Pasquier, l’ut majeur est de retour en fin de soirée avec le rare Sextuor pour cordes, vents et piano de Dohnányi. Mihaela Martin, Hartmut Rohde, Niklas Schmidt, Isaac Rodriguez, André Cazalet et Oliver Triendl ont pour tâche de donner vie à une partition sans doute un brin composite mais d’un charme années 30 pour le moins irrésistible, surtout quand des interprètes de cette trempe s’en emparent avec un tel plaisir. Dans cette conversation – animée ! – en musique, la clarinette fruitée de Rodriguez fait autant mouche que le cor goguenard de Cazalet, tous portés par le piano lumineux, tonique et volubile de Triendl.

A l’époque de Casals, les concerts du Festival de Prades avaient lieu à l’église Saint Pierre, située au cœur de la cité catalane. Saint Michel de Cuxa est devenu le centre de gravité de la manifestation, mais il lui arrive parfois de retrouver son berceau historique. C’était le cas à l’occasion d’un programme largement dédié à l’un des compositeurs fétiches de Prades, Mozart, et complété par deux ouvrages de Mendelssohn.
Depuis quelques années, le festival accueille chaque 3 août à l’église de Cattlar le concert des Révélation Adami (2). Le concert de 2012 nous avait donné l’occasion de saluer, entre autres, les qualités de la soprano Magali Arnault Stanczak (3) et l’on a été particulièrement heureux de la retrouver cette année en soliste de la soirée « Amadeus ».
 

magali arnault stanczak 2014 prades

Magali Arnault Stanczak © Nemo Perier Stefanovitch

Reste que la musique de chambre demeure l’essence du Festival Pablo Casals et c’est par elle que débute le programme avec le sombre Adagio et fugue en ut mineur KV 546 que le Artis Quartet s’approprie avec une fervente sobriété.
De la tribune d’orgue, Olivier Charlier, Mark Gothoni (violons), François Salque (violoncelle) et Jean Dekyndt (orgue) offrent un premier bouquet de trois sonates d’église (KV 245, 244, 212), menées avec fraîcheur et allant, puis vient le moment de la première apparition de M. Arnault Stanczak dans l’« Et incarnatus est » de la Messe en ut mineur. Aux archets des Artis se greffent la flûte de Patrick Gallois, le hautbois de Jean-Louis Capezzali, le basson de Carlo Colombo et la contrebasse de Jurek Dybal : luxueux écrin pour une voix pure comme le diamant, certes, mais surtout pour une merveilleuse musicienne, lumineuse et rayonnante. Il faut entendre - voir aussi ! -  l’attentive complicité que Gallois et Capezzali mettent à accorder au mieux la couleur, la ligne de leurs interventions avec celles de la soprano… Un petit miracle, comme les festivals d’été savent en offrir.

Après un autre tiercé de sonates d’église (KV 328, 67 et 336), aussi finement conduites que les précédentes, M. Arnault Stanczak (accompagnée par les Artis et Dybal) émerveille à nouveau dans le Laudate Dominun des Vêpres solennelles KV 339. On goûte sans réserve la tendre poésie et le naturel que la soprano met dans cette page, comme son engagement, son feu intérieur, son style aussi, dans l’air «Tra l’oscure ombre funeste » du Davidde Penitente KV 469 - les mêmes pour l’accompagnement que dans le « Et incarnatus », avec en plus Sylvain Faucon (hautbois), Sarah Ennouhi et André Cazalet (cors).

Place à Mendelssohn en seconde partie de soirée avec deux compositions de jeunesse. Aux côtés du Artis Quartet, d’A. Cazalet, S. Ennouhi et J. Dekyndt, M. Arnault Stanczak donne la mesure de sa palette expressive et de l’incroyable finesse dont sa colorature est capable dans les plus délicats ornements avec l’Ave Maris Stella (1828).
De deux ans antérieur, le Quintette à cordes n° 1 referme le programme. Sans égaler le coup de génie du désormais fameux Octuor op. 20 (1825) il séduit toutefois par une profusion d’idées qu’il faut savoir apprivoiser. Entraînés par le solaire et énergique archet de Kyoko Takezawa, Frédéric Agostini, Bruno Pasquier, Harmut Rhode et Arto Noras sont à leur affaire. Leur émerveillement, leur fraîcheur face aux trouvailles d’un adolescent surdoué (quel raffinement dans les teintes de l’étonnant Intermezzo) réjouissent le cœur et l’esprit.

La fête musicale pradéenne se poursuit jusqu’au 13 août et l’on retrouvera la série "Prades aux Champs-Elysées" l’hiver prochain avec trois concerts avenue Montaigne (le 5 février et les 20 et 21 mars 2015).

Alain Cochard

Abbaye Saint Michel de Cuxa, Eglise Saint Pierre de Prades, 1er, 2 et 3 août 2013. 62ème Festival de Prades, jusqu’au 13 août : www.prades-festival-casals.com

 
(1)Les 50 ans du Quatuor Talich ; lire l’interview de Vladimir Bukač : www.concertclassic.com/article/les-50-ans-du-quatuor-talich-cinquante-fois-quatre

(2)Lire le CR : www.concertclassic.com/article/les-revelations-classiques-de-ladami-2014-au-festival-de-prades-le-3-aout-de-cattlar-ou-la

(3)Lire le CR : www.concertclassic.com/article/les-revelations-classiques-de-ladami-au-festival-de-prades-vers-lavenir-compte-rendu
 

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