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Festival Fernand de la Tombelle du Palazzetto Bru Zane – Une interview d’Alexandre Dratwicki, directeur scientifique du PBZ

Grâce au travail d’exploration mené par le Palazzetto Bru Zane, la musique française n’a pas fini de nous surprendre ! Après un cycle « Saint-Saëns, entre romantisme et modernité » à l’automne dernier, le PBZ s’attarde sur Fernand de la Tombelle (1854-1928, photo), figure totalement méconnue de notre patrimoine. Du 6 avril au 11 mai, le cycle « Fernand de la Tombelle, gentilhomme de la Belle Epoque » met en lumière au cours de huit concerts vénitiens un artiste aussi singulier qu’attachant. Mais que ceux qui ne peuvent faire le voyage se consolent : la mise en ligne d’un très riche fonds relatif à ce compositeur sur le site bruzanemediabase (1)et la sortie d’un disque de mélodies interprétées par Tassis Christoyannis et Jeff Cohen (2)  promet de combler leur curiosité, en attendant que le 5ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris (du 7 au 19 juin) ne fasse place entre autres à De la Tombelle. Mais qui était-il donc ? On a interrogé Alexandre Dratwicki, directeur scientifique du PBZ.

Alexandre Dratwicki © DR
 
Pourquoi avoir décidé de consacrer un cycle complet cette saison à Fernand de la Tombelle ?

Alexandre DRATWICKI : Les choses ont commencé un peu par hasard avec ce compositeur. Nous avions rencontré un musicologue, Jean-Christophe Branger, qui a mis l’équipe du PBZ en contact avec la famille de Fernand de la Tombelle - son arrière petite-fille Antonia Orsini. Au Palazzetto nous avons programmé depuis quelques années, de façon ponctuelle, des œuvres de cet auteur. A chaque fois nous étions toujours un peu plus persuadés de l’intérêt de sa musique et l’envie d’en entendre plus nous a conduit à imaginer le cycle proposé cette saison. C’est la première fois – et ce sera de plus en plus souvent le cas d’ailleurs – qu’un de nos festivals est le fruit des tâtonnements des saisons passées pour ce qui concerne les compositeurs vraiment rares. Maintenant que le Palazzetto est identifié dans ses missions, l’objectif est de programmer chaque saison à la fois un compositeur connu que l’on aborde par les aspects ignorés de sa production et un compositeur vraiment méconnu ; les cycles Saint-Saëns et De la Tombelle l’illustrent bien cette fois. Le côté un peu grand public d’un de nos festivals autorise à ce que le second soit beaucoup plus « radical ». Le festival De la Tombelle offre exactement l’exemple d’un compositeur totalement inattendu, dont le nom m’était, je l’avoue, inconnu il y a quelques années encore.

Fernand de la Tombelle jeune © bruzanemediabase

Comment définir de façon générale l’esthétique de Fernand de la Tombelle, que vous présentez tel un « gentilhomme de la Belle Epoque » ?

A.D. : De la Tombelle est artiste qui ne renie pas le passé, qui y est très attaché – rappelons qu’il a été élève de Théodore Dubois. De la Tombelle permet d’ailleurs au PBZ de continuer à dérouler le fil rouge sur l’académisme, terme que nous entendons de manière positive, même si le mot est devenu très dégradant. Après Dubois et Godard, nous abordons Fernand de la Tombelle, dont le style est héritier du XIXe siècle. Il était admirateur de la musique allemande et on sent très bien les influences de Mendelssohn, Beethoven et Schumann dans des formes classiques : Quatuor à cordes, Quatuor avec piano, Trio avec piano, Sonates pour violon ou pour violoncelle et piano. Il ne faut cependant pas oublier que De la Tombelle est organiste et, comme Boëllmann, Widor, Dubois ou Franck, il s’intéresse d’abord à la dimension harmonique. Il est marqué par l’enseignement de Dubois, professeur qui encourageait les aventures harmoniques un peu originales.

Fernand de la Tombelle ... en tenue de comédien ! © bruzanemediabase

Les centres d’intérêt de Fernand de la Tombelle ne se limitaient pas à la musique et l’on découvre qu’il s’intéressait à quantité de domaines. Dont la gastronomie : il a signé un ouvrage sur ... « Les Pâtés de Périgueux » ! ...

A.D. : Comme George Onslow un demi-siècle avant lui, Fernand de la Tombelle est un aristocrate fortuné qui n’a pas besoin de son art pour subsister – ce qui nous a épargné bien des ouvrages alimentaires. Il disposait de beaucoup de temps et a pu s’autoriser tous les hobbies qui ont été les siens. Il a par exemple adoré l’automobile et voyagé dans toute la France, sans parler du vélo et des centaines de kilomètres qu’il a parcourus. Mais il se passionnait aussi pour l’astronomie et, l’œil sur son télescope, établissait des cartes du ciel ; le fonds numérisé auquel le public a désormais librement accès permet de découvrir des documents scientifiquement très aboutis.
De la Tombelle habitait dans le Périgord et s’est intéressé à la gastronomie, mais aussi au folklore local. Même si ce n’est pas de façon aussi poussée que chez Séverac ou d’autres à la même époque, on trouve dans certaines mélodies ou pièces pour piano des traces du folklore. A cela s’ajoute une activité de conférencier, sur divers sujets et d’abord la musique : ses interventions ont porté notamment sur la musique sacrée et les moyens de la rénover.
Enfin, en aristocrate éclairé, convaincu d’une mission sociale, De la Tombelle organisait des concerts dans son château périgourdin et invitait les villageois à y assister.

Théodore Dubois © DR

Dans quels cercles parisiens évoluait-il ?

A.D. : Fernand de la Tombelle avait reçu l’enseignement de Dubois et était donc un produit du Conservatoire de Paris. Jusqu’à la fin de sa vie il entretiendra d’excellentes relations avec Dubois – qui, dans son Journal, se réjouit de la fidélité de son élève –, mais il est proche aussi de Charles Bordes et Vincent d’Indy ; il enseigne l’harmonie et le contrepoint à la Schola Cantorum et compose de la musique sacrée avec le désir de renouveler le répertoire en s’appuyant sur l’héritage du passé.

Comme avez-vous structuré le cycle  « Fernand de la Tombelle, gentilhomme de la Belle Epoque » ?

A.D. : Certaines œuvres, comme je vous l’ai dit, ont été programmées avec succès durant premières années du Palazzetto et nous voulions absolument les redonner, le Trio avec piano et le Quatuor à cordes en particulier. Chaque concert s’organise autour d’une œuvre importante du compositeur, en regard de laquelle sont placées des pièces plus brèves, destinées à une formation identique ou proche, et des ouvrages de contemporains de De la Tombelle : le Trio avec piano côtoie ainsi celui d’Alphonse Duvernoy (par le Trio Karénine), la Sonate pour violoncelle celle d’Henri Duparc (par Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel), la Sonate pour violon celle de Gabriel Pierné (par le Duo Ainos), le Quatuor avec piano celui de Guillaume Lekeu (par le Quatuor Giardini).
Fernand de la Tombelle a composé énormément de mélodies pour voix en piano, genre qui fera l'objet de deux concerts, auxquels s’ajoute la parution d’un enregistrement de Tassis Christoyannis.(2) Yann Beuron et Nicolas Courjal seront présents à Venise, le premier avec un programme De la Tombelle, Fauré, Saint-Saëns et Gounod, l’autre uniquement dans des pages de De la Tombelle.

Jean-Frédéric Neuburger © Carole Bellaiche

Fernand de la Tombelle sera aussi à l’affiche du 5ème Festival Bru Zane à Paris. Quel aspect de sa production avez-vous mis en valeur dans ce cadre ?

A.D. : Il y a une œuvre qui nous semble intéressante et à laquelle De la Tombelle donne l’impression d’avoir beaucoup cru : le Fantaisie pour piano et orchestre. Elle existe en fait dans trois versions : une première avec un orchestre énorme (les bois par quatre !), qui de ce fait menaçait de ne pas être jouée souvent. L’auteur en a réalisé une mouture pour un orchestre de format normal et, enfin, une dernière version pour piano et quintette à cordes. C’est elle que l’on entendra en début de Festival à Venise (le 9/04) et que l’on retrouvera le 12 juin à Paris, aux Bouffes du Nord, interprétée par Jean-Frédéric Neuburger, le Quatuor Strada et Yann Dubost à la contrebasse, et couplée comme à Venise avec le Quatuor à cordes. Nous projetons aussi d’enregistrer le version avec orchestre de cette Fantaisie dans le cadre d’un portrait choral et symphonique (en 3 CD) de Fernand de la Tombelle à paraître en 2019.
 
Propos recueillis par Alain Cochard le 3 avril 2017

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(1) www.bruzanemediabase.com/fre/Fonds-d-archives/Fonds-La-Tombelle
(2) 1 CD Aparté / Palazzetto Bru Zane (à paraître le 7 avril)
 
Cycle « Fernand de la Tombelle, Gentilhomme de la Belle Epoque »
Du 6 avril au 11 mai 2017
Venise – Palazzetto Bru Zane
www.bru-zane.com/2016/?page_id=17602&lang=fr
 
5ème Festival Bru Zane à Paris
Paris – Théâtre des Champs-Elysées, Opéra-Comique, Théâtre des Bouffes du Nord
Du 7 au 19 juin 2017
www.bru-zane.com/2016/?page_id=17680&lang=fr

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