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Festival International de Colmar 2019 – Haut de gamme – Compte-rendu

Le 31e Festival de Colmar célèbre Claudio Abbado (1933-2014) autour d’une programmation rappelant le vaste répertoire du chef italien. Pour ce faire, ont été invités des interprètes particulièrement investis (son fils, le contrebassiste de jazz Musha Mullov-Abbado, est d’ailleurs présent lors d’un concert avec sa mère Viktoria Mullova) et tous conscients du rôle majeur joué par ce légendaire musicien.
 

Quatuor Strada © Bernard Fruhinsholz

Le Quatuor Strada (jeune formation constituée de Pierre Fouchenneret, Sarah Nemtanu, Lise Berthaud et François Salque) possède une homogénéité que des ensembles confirmés pourraient lui envier. L’urgence dont il fait preuve dans le Quartettsatz de Schubert n’oublie jamais le sens des nuances et de l’équilibre de ce drame intériorisé. Le bref Langsamer Satz de Webern, d’un lyrisme post-brahmsien, atteste des mêmes qualités de clarté, auxquelles s’ajoutent une sensualité et une passion emplies des souvenirs d’une excursion idyllique du musicien en Basse-Autriche avec sa future épouse Wilhelmine. Malgré l’acoustique réverbérée de la Chapelle Saint-Pierre, le Quatuor n°3 de Brahms garde sa luminosité sous des archets à la fois tendres et opulents qui procurent à cette partition bucolique mais complexe sa dimension à la fois populaire et nostalgique (belle intervention  de l’alto dans le troisième mouvement) bien mise en valeur par des interprètes très complices. En bis, le Presto conclusif du Quatuor n°8 de Beethoven emporte tout sur son passage avec une vélocité conquérante à la limite d’une rupture assumée.
 

© Bernard Fruhinsholz

Grigory Sokolov © Bernard Fruhinsholz

Fidèle du festival alsacien, Grigory Sokolov retrouve l’église Saint-Matthieu dans laquelle il officie chaque année : il s’agit en effet d’une véritable communion avec le nombreux public qui se rend à ce récital comme à un rituel. La Sonate n°3 de Beethoven, impressionnante de précision et de perfection, laisse quelque peu sur la faim par le sort que le pianiste fait à chaque note au risque de rendre l’Adagio ennuyeux. En revanche, les Bagatelles op.119, kaléidoscope éclairé par une palette sonore d’une richesse infinie, constituent une réussite incontestable à l’instar des Klavierstücke op.118 et 119 de Brahms d’une parfaite plasticité et d’une nostalgie quasi-doloriste. Litanie attendue des bis qui convoquent dans le désordre Schubert, Rameau, à nouveau Brahms, Rachmaninov, Chopin… pour la plus grande joie de l’assistance. La messe de minuit est dite !
 

Victoria Mullova © Bernard Fruhinsholz

La Moldave Alexandra Conunova (photo à g., née en 1988), lauréate de nombreux Concours (Joachim, Tchaïkovski, Enesco, Tibor Varga …), forme avec le pianiste allemand d’origine ouzbek Michail Lifits (photo à dr., Premier Prix du Concours Ferruccio Busoni à Bolzano en 2009) un duo rompu aux exigences de la musique de chambre. La Sonate de Debussy se révèle trop expressive et loin de la ductilité que l’on attend alors que la Sonate en sol majeur de Ravel, généreuse de ton, rend davantage justice aux intentions de l’œuvre. C’est dans la Sonate n° 2 de Prokofiev que les deux interprètes se montrent à leur meilleur, sachant explorer toutes les ressources d’une écriture particulièrement élaborée. Sur son Santo Serafino (1735), la violoniste à la sonorité épanouie s’exprime avec sûreté et justesse, soutenue avec bonheur par un comparse fidèle et technicien hors pair.
 

Andrey Boreyko © courtesy of artisoconaples-naples-philharmonic

A la tête d’un remarquable Orchestre Philharmonique de Russie, Andrey Boreyko réussit à donner de la densité au charmant Blumine (le mouvement lent abandonné par Mahler dans sa Symphonie « Titan »).
Le Concerto n°1 de Chostakovitch n’a pas de secret pour Viktoria Mullova qui, depuis ses études à Moscou auprès de Leonid Kogan, en connaît tous les arcanes. L’engagement et à la virtuosité sans faille ne sont pas toujours au service de l’abandon et du caractère burlesque. Quant au Scherzo irrésistible de vivacité, il peut paraître parfois quelque peu motorique, voire mécanique, mais l’ensemble (en particulier la cadence redoutable de la Passacaille) manifeste une hauteur de vue qui ne peut laisser indifférent.
L’accompagnement orchestral, très symphonique, est à couper le souffle et la ferveur des musiciens à l’avenant.
Dans la chaleur ambiante, Andrey Boreyko et ses troupes apportent à la Symphonie n°8 de Dvorak verdeur et énergie : un miracle de musicalité ! Belle contribution à l’hommage que Colmar rend à l’un des plus célèbres maestros des cinquante dernières années.
 
Michel Le Naour

Colmar, Eglise Saint-Matthieu et Chapelle Saint-Pierre, Salle du Koifhus, 08 & 09 juillet 2019
 
Photo © Bernard Fruhinsholz

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