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Festival Le Temps d’aimer la danse de Biarritz – Un grand jeu de cartes – Compte rendu

Le principe du Festival biarrot, depuis toujours et de plus en plus, est d’aller à la pêche, tout en respectant l’écosystème local avec des compagnies issues du tissu basque, voire espagnol. D’où de gros poissons, des baleines et des requins, quelques pieuvres et pas mal de têtards ! Une sélection vigoureuse autant qu’osée car elle ouvre la porte aux incertitudes, aux ratages et permet aussi d’éblouissantes redécouvertes, de fortes avancées.
 
L’année en aura été prolixe : que demander de mieux à l’ère néoclassique que La Création, sur l’oratorio de Haydn, un ballet superbement construit par l’hypersensible Uwe Scholz, pépite chorégraphique disparu hélas prématurément et dont le Ballet du Rhin, grâce à Ivan Cavallari, qui le quittera bientôt, a le courage de perpétuer l’œuvre dans une France indifférente. Voilà pour l’écrit, le fortement pensé, la belle danse émouvante et graphique à la fois, irriguée par une musique difficile à habiter, car on sait que les chefs d’œuvre aiment bien se tenir seuls. Mais ce n’est pas le cas ici, grâce à la perception musicale aigue de Scholz.
 
Belle aventure aussi que celle de ce Ballet de Marseille qui se débat depuis des années après bien des vicissitudes et proposait une mise en perspective des problèmes et des atouts de sa troupe, avec un drôle de titre, Le Corps du Ballet National de Marseille. Et  puis, parmi les gros poissons de la danse contemporaine, des personnalités aussi provocantes que celles de Pedro Pauwels, ou, tout en douceur complice avec PARA-LL-ELES, le tendre duo de Nicolas Le Riche et Claire Marie Osta, qui promènent partout leur rêve éveillé, depuis qu’ils ne fréquentent plus le fantôme de l’Opéra de Paris. Avec une Gigabarre promise face à la mer par les deux stars le 18, un vrai luxe.

Poil de carotte ( chor. Fabio Lopez) © Stéphane Bellocq

Il y a aussi quelques beaux dauphins, ainsi la vraie surprise du festival, cette création très attendue  de Poil de Carotte, due à Fabio Lopez, personnalité marquante de Ballet Biarritz il y a peu, car le chorégraphe est encore très jeune ! Une pièce d’une heure, avec sa petite compagnie, qui tourne autour du très dur récit de Jules Renard, et pour laquelle il a eu l’heureuse idée d’emprunter à Thierry Escaich plusieurs de ses pièces parmi les plus fortes et les plus envahissantes. Lopez, passé à l’école Malandain, donc, a assurément une puissante technique et une expressivité qui lui permettent de se glisser de façon inquiétante dans la peau du gamin bourreau et victime. Un art du récit, incontestablement, le goût des atmosphères aussi. Un langage cru, âpre, où les idées abondent et qu’il lui faudra élaguer pour le rendre plus efficace. On en est sortis troublés, comme au sortir de quelque dérive psychanalytique, et désireux de voir continuer ce jeune homme sur une voie qu’il trace avec intelligence et assurance.

Les Forains (chor. Anthony Egéa) © Stéphane Bellocq
 
Autres bondissements, ceux des danseurs urbains, maîtres d’un hip-hop dont le Festival  a souvent été l’hôte, et qui arrivent à maturation, tant à leur technique ahurissante s’ajoute aujourd’hui, parfois, la force d’un discours, l’éloquence d’une pensée et non la seule vitalité de corps qui ne parviennent pas à être autre chose qu’eux-mêmes. Un très riche moment, donc, avec Les Forains, qui marque  le retour à de meilleurs sentiments de cette forme déchaînée et se teinte de poésie, voire de sensibilité. Et ce grâce au talent et à la culture (forgée chez Rosella Hightower et Alwin Ailey autant que dans les danses urbaines) du bordelais Anthony Egéa, lequel touché par la grâce de Satie et Kochno, donne au conte doux amer si bien dessiné autrefois par Roland Petit, un côté burlesque plus contemporain, plus sarcastique et où les performances des danseurs de sa compagnie Rêvolution, fabuleux, résonnent comme des instruments solistes.  
 
 Tel n’était pas le cas du «  requin », le très brillant Kader Attou, directeur du CCN de la Rochelle. Avec un Opus 14 de pur hip- hop, martelé jusqu’au supplice sur une assourdissante bande sonore signée Régis Baillet, entrecoupée de bouffées chopiniennes et de mélopées sur le ton rauque, donc mode. A condition d’avoir eu ses bouchons d’oreille, on a d’abord assisté avec plaisir aux évolutions de masse bien ordonnées, encore qu’elles paraissent folles dans leur confondante virtuosité, de ces danseurs d’exception, véritables toupies désarticulées, avant de se dire que finalement, il n’y a là rien de mieux que dans une parade académique de grand style. Imaginons une poignée de danseurs classiques, lançons les dans l’arène pour 1h 10 de fouettés et de pirouettes. L’ennui serait mortel, et l’exploit vide et inutile. Tel est le constat qu’on a pu faire, sans remettre en question le talent rare des interprètes qui se donnent jusqu’à la corde. Mais pour nous dire quoi ?
 
On ne pourrait aussi passer sous silence le beau trio, un peu brouillé dans sa gestique même si très appuyé dans sa pensée, de l’Israélien Roy Assaf, dans La Colline. Une sorte de parabole sur l’histoire d’Israël, dont il montre le piétinement sans fin. Un sujet difficile car il entraîne quelque stagnation dans l’expression des interprètes, perdus dans ce monde impossible, malgré leur souplesse, leur violence et leur engagement.
 
Et puis, il y a les trésors locaux, les compagnies telles que Dantzaz, qui vont au cœur du public par leur intensité et leur sincérité sans afféterie. Et puis, il y des têtards, dont on craint qu’ils n’évoluent pas heureusement. Autant les oublier et attendre la prochaine partie de pêche, avec un intérêt que Le Temps d’aimer sait toujours réactiver. 
 
Jacqueline Thuilleux

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Le Temps d’Aimer la Danse – Biarritz, les 12 et 13 septembre 2016.  Jusqu’au 18 septembre 2016.  www.letempsdaimer.com
 
Photo (Poil de Carotte) © Stéphane Bellocq

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