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Festival Présences de Radio France 2017 – Portrait-rétrospective

Moment impatiemment guetté par les férus de création contemporaine, mais aussi par des mélomanes simplement désireux de s’« aérer » un peu l’oreille et de sortir de sentiers trop rebattus, le Festival Présences de Radio France déroule sa 27ème édition du 10 au 19 février.

Bruno Bérenguer, délégué artistique de la manifestation, ne manque pas souligner la « nouvelle dynamique » qui porte Présences grâce à « l’action de Jean-Pierre Derrien qui a su attirer des talents, des ensembles vers le festival. » Désormais à la barre, B. Bérenguer a souhaité revenir à la formule, délaissée depuis un moment, du portrait de compositeur. De compositeur ou de compositrice. Hormis Sofia Goubaidoulina en 1993, aucune femme n’avait jamais été retenue comme tête d’affiche de Présences. Ce constat a conforté B. Bérenguer dans son envie de mettre à l’honneur Kaija Saariaho ; « figure internationalement reconnue et de surcroît très attachée à la France et à Paris, où elle habite depuis le début des années 1980 ».

Kaija Saariaho © Maarit Kytöharju

26 œuvres de la Finlandaise programmées : Présences offre une grande rétrospective de sa production et retrace l’évolution de son langage sur trois bonnes décennies (la plus ancienne pièce, Jardin secret I, remonte à 1984). Lorsque l’on interroge Saariaho sur manière dont les choix ont été effectués, en concertation avec Radio France, elle insiste sur la coexistence d’œuvres de périodes différentes, avant de se réjouir de la participation d’interprètes de diverses générations, le violoncelliste Anssi Karttunen, grand ami et avocat de la première heure de sa musique, aussi bien qu’un jeune chef tel que Clément Mao-Takacs et son Secession Orchestra, dont la présence compte énormément pour elle car « c’est l’ensemble qui joue le plus [sa] musique en France aujourd’hui ».

Clément Mao-Takacs © Yannick Coupannec

« Présence doit aussi servir de tremplin pour des musiciens, compositeurs ou interprètes, qui n’ont jamais eu d’expérience à Radio-France, insiste pour sa part B. Bérenguer ». Et l’on est heureux d'y trouver par exemple le jeune Quatuor Opus 333, étonnant – et talentueux ! – ensemble de saxhorns que l’on entendra dans un programme tout public construit autour d’un texte de Pierre Senges, hommage irrévérencieux à l’univers des contes de fées ; un concert réalisé avec le concours du GRM, à l’instar de trois autres rendez-vous de l’édition 2017. Côté compositeurs, Saariaho apporte son parrainage à de jeunes confrères tels que le Croate Davor Branimir Vincze, l’Espagnole Nuria Gimenez-Comas ou le Français Florent Motsch.

Dima Slokodeniouk © dimaslobodeniouk.com

L’auteur de L’Amour de loin est certes l’objet principal du festival, mais ne monopolise en rien une programmation où pas moins de 40 compositeurs sont représentés. Autant dire que tout contribue à une mise en perspective de sa musique. Présences joue selon les cas la carte des parallèles ou celle des contrastes, comme pour le concert inaugural, donné par l’Orchestre Philharmonique conduit par l’excellent Dima Slobodeniouk (avec la violoniste Jennifer Koh et la mezzo Nora Gubisch), où la musique de Saariaho (les Adriana Songs, en création française, et Frises) se confronte à celle de Raphaël Cendo (Dekklänge, en création mondiale). Quant aux parallèles, le voisinage de Saariaho avec des pièces de Dutilleux ou Grisey, entre autres, rappellera combien ces auteurs ont marqué la compositrice à ses débuts. Une artiste finlandaise installée en France : la piste du Paris cosmopolite s’offrait aussi à B. Bérenguer, qui n’a d’ailleurs pas manqué d’en faire l’un des sous-thématiques de l’édition 2017 avec des auteurs comme Martin Matalon ou Alexandros Markeas par exemple.

Ramon Lazkano © Radio France / Christophe Abramovitz

Une portrait peut en cacher un autre : parallèlement à Saariaho, Présences 2017 réserve une belle place à la musique du Basque Espagnol Ramon Lazkano dont on découvre le deuxième quatuor à cordes (Etze) en création mondiale, sous les archets du Quatuor Diotima (déjà créateur du premier), et son dyptique pour voix et ensemble sur des vers d’Edmond Jabès par les Neue Vocalsolisten et L’Instant Donné, dirigés par Manuel Nawri.
 

L'Orchestre baroque de Finlande © Jaakko Paarvala

Cet hommage au poète français se rattache au fil rouge « littéraire » que l’on discerne également dans l’édition 2017 : outre la création de Lazkano, les deux illustrations les plus frappantes en demeurent la première française de la nouvelle version de Polednice, saisissante pièce d’Ondrej Adamek (sur un texte de Karel Jaromír Erben) et une soirée autour de la Tempête de Shakespeare. Un moment d’autant plus remarquable que Présences y fera place aux instruments anciens en accueillant le Suomalainen Barokkiorkesteri (l’Orchestre baroque de Finlande) dans un programme comportant des pages de Purcell et le Tempest Songbook de K. Saariaho (création française intégrale).

Olari Elts © Marco Borggreve

Comme de coutume les quatre formations de Radio France sont sur le pont (Philhar, National, Chœur et Maîtrise) et, c’est une nouveauté, tous les concerts du soir sont diffusés en direct sur France Musique (de plus, huit concerts du festival seront par la suite disponibles en son 3D sur le site hyperradio (1), l’ex nouvOson de Radio France). Parmi les temps forts, on retient évidemment le concert inaugural du Philhar précédemment évoqué, mais aussi celui, non moins attendu, de l’Orchestre National qui verra la première apparition à Radio France du chef estonien Olari Elts – il était temps !

Le Quatuor Meta4 (Antti Tikkanen à dr.) © meta4.fi 

Soirée d’autant plus alléchante que l’on y entend – en plus de la Polednice d’Adamek et d’une création d’Helena Tulve, jeune créatrice estonienne repérée par B. Bérenguer à la Tribune internationale des compositeurs – deux partitions essentielles de K. Saariaho : Orion, pièce symphonique datée de 2002, pour la première fois interprétée par l’une des phalanges de Radio France, et, en création française, True Fire pour baryton et orchestre, avec le jeune chanteur américain Davóne Tines, qui a participé l’an dernier, au côté de Philippe Jaroussky, à la création à Amsterdam de Only the Sound Remains, dernier opéra de K. Saariaho (que l’on verra à l’Opéra de Paris en janvier-février 2018, avec les mêmes chanteurs). Un concert événement dont ARTE Concert a heureusement prévu de garder la trace.
L’Orchestre Philharmonique revient en presque conclusion de l’édition 2017, sous la baguette d’Ernest Martínez-Izquierdo, dans des partitions de Lazkano, Grisey et Saariaho – grand écart pour des musiciens par ailleurs occupés jusqu’au 27 février par le Fantasio d’Offenbach au Châtelet ! De l’artiste finlandaise, Trans, concerto pour harpe achevé l’an passé, sera créé par Xavier de Maistre, tandis Maan Varjot « in memoriam Henri Dutilleux », pour orgue et orchestre, confiera le Grenzing de l’Auditorium à Olivier Latry. Un instrument qui aura d’ailleurs eu, quelques heures plus tôt, la parole en solo, sous les doigts de Francesco Filidei (œuvres de Messiaen, Lanza, Mâche, Parra et Xenakis).
 

Anssi Karttunen © Irmela Jung

A côté des formations de Radio France, B. Bérenguer a tenu à « inviter des ensembles phares de la création musicale contemporaine ». En plus de L’Instant Donné et des Neue Vocalsolisten, du Secession Orchestra ou des Diotima, déjà cités, on remarque la venue du jeune quatuor finlandais Meta4 (un concert en coproduction avec l’Ircam) – dont l’un des violonistes n’est autre qu’Antti Tikkanen, par ailleurs chef du Suomalainen Barokkiorkester ; belle leçon d’éclectisme musical ! –, de Court Circuit (dir. Jean Deroyer), de l’Ensemble Cairn, et d’Accroche Note.
La participation de ce dernier importe d’autant plus à B. Bérenguer qu’elle permet le retour à Présences après une longue absence de Tristan Murail avec La Vallée close (une création mondiale sur un texte de Pétrarque). Retour au festival aussi de Pascal Dusapin, absent depuis 1999, dont Slackline pour violoncelle et piano résonnera en création française, confié à Anssi Karttunen et Nicolas Hodges.
Enfin, aux amateurs d’expériences singulières il convient de signaler un concert où Lichtbogen (pour ensemble et électronique) de Saariaho et Nox Borealis, installation musicale et visuelle de Jean-Baptiste Barrière et François Galard, invitent le public – en position allongée ! – à une immersion dans l’univers des nuits boréales. Les voyages se sont démocratisés depuis l'époque de Debussy, mais il est toujours permis d'y suppléer par l'imagination ...

Alain Cochard

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(1) hyperradio.radiofrance.fr/son-3d/ 
 
27ème Festival Présences
Du 10 au 19 février 2017
Paris – Maison de Radio (lieux divers)
www.maisondelaradio.fr/page/festival-presences-portrait-de-kaija-saariaho-du-10-au-19-fevrier-2017
 
Photo Kaija Saariaho © Maarit Kytöharju
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