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Festival « Puccini plus » à l’Opéra de Lyon - Très plus - Compte-rendu

Décidément Hindemith avait le génie du théâtre. Cardillac en est la preuve absolue, et la parabole de Sancta Susanna n’est pas loin de se hisser au même niveau mais avec des armes différentes : un acte dense et pourtant raréfié – en terme de musique – tout entier rompu au texte et à ses suspensions, tout entier dévoué à cette plongée en apnée dans la psyché du désir féminin.

Hindemith rends les non-dits éloquents, et au passage en profite pour stigmatiser la violence d’une communauté contre un individu : nous sommes en 1921, à l’aube des périls. Tout cela est montré avec une économie de moyens sidérante, un langage qui abolit par ses longues pédales mystérieuses toute référence tonale et où Hindemith tourne résolument le dos à la musique objective qui lui deviendra rapidement une seconde langue aussi obligée que rébarbative (du moins à nos oreilles : même Mathis le Peintre par endroit en sera contaminé).

Œuvre d’une puissance certaine et qu’on ne voit que rarement (Jean-Paul Scarpitta en avait présenté sa version à Montpellier). En tous cas, John Fulljames en saisit l’esprit comme la lettre, réalise un travail théâtral transcendant et en même temps très simple, où une direction d’acteur au cordeau se marie avec un art savant des éclairages et de la mise en espace. Peu importe alors qu’Agnes Selma Weiland aille au feu de ses contre-ut désarmée jusqu’à en crier, après tout c’est ce qu’Hindemith lui demande, brûler jusqu’au bout, hurler l’indicible. Elle finira nue, comme sa voix. La Klementia de Magdalena Ann Hofmann, mezzo profond, lui répond avec la même ardeur noire, Bernhard Kontarsky soigne tension et atmosphère.

Le mariage avec Suor Angelica n’était peut-être pas si évident, car au fond la catharsis du désir mise en lumière par Hindemith et le désespoir maternel montré avec art par Puccini n’ont rien à voir et sont même antithétiques. Le vernis religieux commun aux deux partitions, quoiqu’encore sensiblement différent, aura dû suffire. Mais monter Suor Angelica sans avoir le rôle-titre est en soi un péril. Non que Csilla Boross démérite, loin de là. Mais son soprano franc et un peu trop central – ses aigus di grazia n’en ont guère – n’est simplement pas ce que Puccini voulait : on se souvient de Pilar Lorengar, lumineuse et tragique, fragile et pathétique à la fois, de Los Angeles, de Cotrubas, de Tokody, de Tebaldi, de Popp ! C’était autre chose. Natascha Petrinsky est impérieuse en Zia Principessa, mordante, vipérine et toujours très noble, une contre-proposition pertinente dans un emploi dévolu trop facilement à des étoiles descendantes du chant.

Surtout le spectacle est réglé par la direction d’acteur époustouflante de David Pountney, qui dessine chaque caractère et chaque trait de l’action. Ce sens du théâtre se retrouve, on l’imagine, avivé au centuple dans un Gianni Schicchi dont le décor est plus spectaculaire que le méchant couvent-funérarium tout blanc de Suor Angelica. Cette fois Johan Engels a tapé dans le mille, débordant la scène d’un chaos de coffres-forts qui d’ailleurs ne contiennent que des provisions. C’est bien vu, jusque dans un encombrement de la scène qui permet de dissimuler ou de souligner la multiplicité d’une action théâtrale désopilante où Pountney met toute sa géniale suractivité (allant jusqu’à rajouter en marge une charmante fellation de Rinuccio par Laureta : miracle, cela ne choque pas). Werner Van Melchelen n’a évidement pas le baryton creusé et mordant (Gobbi !) qui fait les grands Schicchi, mais conscient de cela il retire toute caricature au personnage, jouant d’abord le bon père qui pense à sa fille.

C’est bien vu et donne aisément le change. On lui accorde bien volontiers l’attenuante. Toute la distribution scintille, avec une mention particulière pour le clairon encore un peu vert du Rinuccio de Benjamin Bernheim, plein d’élan, de séduction, de prestance. Avec ce Gianni Schicchi Pountney complétait son triptyque amorcé en 2007 par Il Tabarro. La baguette un peu terne et parfois fâchée avec les rythmes de Gaetano d’Espinosa ne lui rendait que partiellement justice hélas. Au bout du compte il se pourrait bien que ce soit, côté régie, le meilleur Trittico qu’on ait croisé. En première partie de soirée, Serger Dorny avait reprogrammé un autre rescapé de son festival d’opéras en un acte : l’exemplaire Tragédie florentine de Zemlinsky selon Georges Lavaudant couplé alors avec l’opéra de Salvatore Sciarrino, Luci mie traditrici, sur le même sujet.

On ne redira pas ici l’excellence de sa direction d’acteur ni les principes fondateurs d’un spectacle qui enfin rendait les dimensions symbolistes et expressionnistes également visibles. La reprise brillait par un Simone fascinant, très noir, idéalement cauteleux et dangereux, l’excellent Martin Winkler. Il y a du Klingsor, du Hagen dans ce baryton au timbre plein de soufre et qui mord dans les mots. On en oubliait presque les pâles amants et, plus étonnant encore, la direction pourtant enlevée de Kontarsky.

Jean-Charles Hoffelé

Puccini : Suor Angelica, Gianni Schicchi
Hindemith : Sancta Susanna
Zemlinsky : Une Tragédie florentine
Opéra de Lyon, les 28 et 29 janvier, représentations jusqu’au 9 février 2012. Retransmission sur Mezzo, le 11 février, de l’intégrale du Trittico / www.opera-lyon.com

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Photo : DR
 

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