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Giulietta e Romeo de Zingarelli à l’Opéra royal de Versailles – La Créole et le Consul – compte rendu

Que l’Opéra de Versailles arrive à faire salle comble pour trois représentations avec une œuvre totalement inconnue du grand public (et de la plupart des mélomanes), voilà qui n’est pas un mince exploit ! La résurrection moderne de ce Giulietta e Romeo ne date que de 2016, lorsque le festival de Pâques de Salzbourg en proposa une exécution en version de concert. Quant au nom de Zingarelli (1752-1837), il faut bien avouer qu’il reste confidentiel, même si Anna Bonitatibus a récemment enregistré l’un de ses cantates sur son disque Monologues. L’Opéra de Versailles a néanmoins pris fait et cause pour ce qui fut l’une des premières adaptations lyriques de Roméo et Juliette : en avril 2021, l’œuvre fut présentée en concert, filmée et enregistrée dans la foulée. Un peu plus de trois ans après, une version scénique voit le jour et, comme on l’a dit plus haut, elle déplace les foules.

Ce succès a au moins deux raisons. D’une part, la communication a mis l’accent sur la fibre patriotique, en faisant de Giulietta e Romeo « l’opéra de Napoléon » comme Atys était l’opéra de Louis XIV. Créée à Milan en 1796, l’œuvre fut donnée aux Tuileries quand l’Empereur s’y était établi, avec les interprètes de la première, le castrat Crescentini et la contralto Grassini. Et comme le sujet est l’un des couples mythiques du théâtre européen (même si le livret puise dans les chroniques italiennes plutôt que dans la pièce de Shakespeare), le titre est plus facile à vendre que Les Abencérages ou La Mort de Trajan. Par ailleurs, l’Opéra de Versailles a su s’assurer la collaboration de celui par qui (et sans doute pour qui) l’œuvre avait été redonnée en 2016 à Salzbourg : le contre-ténor Franco Fagioli, qui compte assez de fans pour remplir une bonne partie de la salle, même si la partition de Zingarelli, post-gluckiste et post-mozartienne, n’a rien en soi d’exceptionnel et joue davantage sur la virtuosité que sur l’émotion.
 

© Ian Rice

Cette production choisit de faire de Napoléon le héros même, puisque Roméo apparaît vêtu en général Bonaparte, Juliette étant vêtue comme Joséphine et les Capulet devenant des Incroyables. Les costumes de Christian Lacroix ravissent le public par leurs couleurs et leurs matières, l’ex-couturier semblant décidément indissociable des toiles peintes, après la Carmen du Palazzetto Bru Zane : cette fois, ce n’est pas Antoine Fontaine, mais son fils Roland qui signe les décors « à l’ancienne », forcément symétriques, dont on retient notamment le beau tombeau final en forme de colombarium. La mise en scène de Gilles Rico se borne le plus souvent à régler les entrées et les sorties des personnages, en abusant un peu de l’idée consistant à faire apparaître aux deuxième et troisième acte le fantôme de Teobaldo, tué par Roméo à la fin du premier.
 

© Ian Rice

C’est d’autant plus visible que l’interprète de ce personnages, Valentino Buzza, manque singulièrement d’allure, comme si l’on avait voulu rendre ridicule celui que Juliette est censée épouser. De manière général, le premier acte est un peu difficile à prendre au sérieux : Roméo paraît excessif dans son jeu d’acteur, Juliette reste un peu effacée, et on a du mal à entrer dans l’histoire. Après l’entracte, heureusement, tout change : Adèle Charvet s’enflamme à partir de son grand air « Qual improvviso tremito » et communique à son chant toute la fougue qui manquait jusque-là. Franco Fagioli devient plus sobre et donc plus crédible en jeune amoureux, les cascades de vocalise continuant à se succéder. Si Florie Valiquette et Nicolò Balducci doivent se contenter de rôles moins developpés (même si Gilberto équivaut ici au Frère Laurent de Shakespeare), Krystian Adam fait forte impression en Everardo, alias Capulet père, auquel il prête une voix sonore et agile.
A la tête du Chœur et de l’Orchestre de l’Opéra royal, Stefan Plewniak dirige avec beaucoup d’énergie une partition qu’il explore maintenant depuis plusieurs années.

Laurent Bury 

Niccolò Antonio Zingarelli : Giulietta e Romeo – Versailles, Opéra royal, 22 octobre 2023
 
Photo © Ian Rice

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