Journal

​Goyescas de Granados à l’Opéra de Limoges – Clignotement d’une présence – Compte-rendu

 

Fruit d’une commande passée en 1914 par l’Opéra de Paris, l’unique opéra d’Enrique Granados à avoir été créé publiquement et avec succès (à New York en 1916) n’encombre pas vraiment les théâtres français. Se pose pour Goyescas comme pour tant d’autres le problème de la durée : une heure à peine, c’est souvent considéré comme trop peu pour une soirée d’opéra. A Limoges, cette brièveté n’a pas été perçue comme un obstacle, et si l’on a également pu entendre le cycle pour piano du même titre (de 1909-1911), ce fut lors d’un récital distinct (par Jean-François Heisser), le 6 novembre, veille de la première des deux représentations de l’opéra. Avec seulement quatre versions au catalogue, Goyescas ne jouit pas non plus d’une discographie pléthorique. Il y avait donc un certain courage à programmer cette œuvre célèbre dans le monde hispanique mais relativement inconnue chez nous, malgré le double anniversaire dont Granados a fait l’objet en 2016 (centenaire de sa mort) et en 2017 (cent-cinquantième anniversaire de sa naissance).
 
Dans ces conditions, le choix d’une version de concert s’avère tout à fait compréhensible, néanmoins agrémentée par l’intervention de Clarac Deloeuil > Le Lab, l’équipe ayant eu l’idée de faire appel aux vidéos de Julien Roques. Un tulle sépare donc l’orchestre du chœur, mais au lieu d’y projeter de simples reproductions des Caprichos de Goya qui ont inspiré le compositeur, c’est une interprétation actuelle de ces gravures qui est proposée. Des scènes imaginées par Goya – Les Vendeuses de porcelaine, les Majas au balcon, etc. – ne restent ici que les contours dessinés par des néons colorés, avec notamment le principe de clignotement qui permet de faire alterner deux états d’une même image : on voit le pantin sauter pour El pelele, on voit aussi, avec une ironie un peu décalée par rapport au sérieux de la scène, se juxtaposer la Maja desnuda à la Maja vestida.
 

Vanessa Goikoetxea (Rosario), Kevin Amiel ( Fernando) & Robert Tuohy @ Opéra de Limoges
 
Sous la baguette de son directeur musical Robert Tuohy, l’Orchestre de l’Opéra de Limoges livre une fort belle prestation, qui met en relief les qualités d’orchestrateur de Granados, que l’on connaît évidemment beaucoup mieux comme pianiste compositeur. Très sollicité pendant les deux premiers des trois tableaux que compte la partition, et confronté à une écriture touffue, le chœur (préparé par Elisabeth Brusselle) relève le défi haut la main et contribue pour une bonne part au succès de la soirée.
 
Des quatre solistes, Pepa est peut-être celle qui a le moins à chanter, et le beau timbre d’Héloïse Mas nous le fait encore plus regretter. Armando Noguera est un fier Paquiro, même s’il semble moins sonore dans le bas de la tessiture. Hoffmann à Dijon, Alfredo à Toulouse et Bordeaux, Kévin Amiel ne craint pas de se frotter au grand répertoire : curieusement, le ténor français, auquel on a parfois pu reprocher un excès d’assurance, reste ici sur son quant-à-soi. Quant au personnage principal, il trouve à Limoges une titulaire à l’exacte mesure du rôle : si l’on se tourne vers les derniers enregistrements, on constate que Rosario est confiée tant à des mezzos, tantôt à des sopranos relativement légers, la vérité se situant en fait à mi-chemin, un soprano plus large étant l’idéal. Ayant à son répertoire Donna Anna, Alice Ford ou Hanna Glawari, auxquelles s’ajoutera prochainement Vitellia à Bilbao, Vanessa Goikoetxea (photo) confère à l’héroïne toute sa noblesse et sait traduire l’émotion du dernier tableau : capable de pianissimi dans « La Maja y el ruiseñor », elle maîtrise également le dramatisme de « El amor y la muerte ».
 
Laurent Bury

Granados : Goyescas – Limoges, Opéra, 9 novembre 2021
 
Photo © Opéra de Limoges
Partager par emailImprimer

Derniers articles