Journal

« The Grand Tour » par l’Ensemble Masques au Festival Terpsichore – Les voyages forment la jeunesse – Compte-rendu

La rentrée musicale parisienne n’aura pas manqué de propositions alléchantes, mais s’il en est une qui mérite tous les éloges, c’est bien ce « Grand Tour » créé salle Erard, avec la complicité du comédien Julien Campani.
Sur une idée originale d’Alison Mackay, Olivier Fortin, claveciniste et chef de l’Ensemble Masques, a imaginé en puisant dans des lettres de divers jeunes aristocrates anglais de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècle un voyage sur le continent – un « Grand Tour » – de Douvres à Leipzig, en passant par Paris, Versailles, Dijon, Venise et Rome.

Ensemble Masques © David Samyn

Musique et textes : on en a vu de toutes les couleurs  – pas toujours éclatantes – en ce domaine, mais rarement aura-t-on goûté un spectacle aussi cohérent, vivant, émouvant, drôle aussi – un programme de presque deux heures, avec une pause d’une vingtaine de minutes, où l’on ne voit pas le temps s’écouler.
Excellemment choisies et traduites (Dennis Collins est à l’œuvre sur ce point), les lettres sélectionnées sont tour à tour touchantes (cher papa, chère maman ...), pleines d’anecdotes (la traversée de la Manche, les plaisirs romains et leurs désagréables contreparties ... vénériennes), d’observation spirituelles – un peu anglocentrées, mais quoi de plus naturel ? -, caustiques (le vilain coton des chemises françaises, technique de lavage sauvage oblige, la laideurs des femmes de Calais, ou de celles de Dijon, fardées comme des carrosses volés), étonnées, émerveillées («le climat de Rome est contagieux... ») et, in fine, désabusées (« les hommes sont partout pareils »).

Pas question d’un vieux barbon ici ! A 29 ans, Julien Campani possède le physique, le timbre de voix, le charme un peu ombrageux, la présence de l’aristo prêt à croquer la vie qu’il incarne. Il embarque à Douvres, nous avec lui !, et pas une seconde on ne le lâche au fil de son Grand Tour. Des anecdotes ? Certes, et à foison !, mais rien d’anecdotique tant le voyage est intensément vécu, dans un décor (d’Andreas Linos) et avec quelques accessoires aussi simples qu’habilement choisis.
 

Olivier Fortin © Jean-Baptiste Millot

Les extraits musicaux ne le sont pas moins, qui s’allient parfaitement au texte, le prolongent, l’amplifient – Purcell, Marais, Mazuel, Corrette, Campra, Delalande, Rameau, Albinoni, Marcello, Corelli, Telemann (1) et Bach. Olivier Fortin a su réaliser une véritable marqueterie de mots et de sons. Aux qualités individuelles des membres de Masques s’ajoutent une homogénéité d’ensemble et une fraîcheur du propos admirables. On voudrait donner chaque morceau en exemple; contentons-nous de l’Adagio du Concerto en ré mineur de Marcello : dans l’écrin tissé par ses partenaires, le hautbois fruité Jasu Moisio réinvente littéralement cette pièce archi-rebattue.
Un moment magique d’émotion et de simplicité, à l’image d’un spectacle qui a ouvert en beauté le 3ème Festival Terspichore de Skip Sempé. Il bat son plein jusqu’au 16 octobre, avec un penchant prononcé pour l’Angleterre et l’Italie cette année.  

Alain Cochard

logo signature article

 
 
(1) Un auteur auquel Masques consacre un magnifique enregistrement, tout juste paru / Ouverture  TWV 55:A1, Suite «Les Nations », Concerto Polonois, Suite « Burlesque de Quixotte » ; 1CD Alpha (Alpha 256)/ dist. Outhere
 
Paris, salle Erard, 17 octobre 2016
3ème Festival Terpsichore, jusqu’au 16 octobre 2016 / www.terpsichoreparis.com/
 
Photo © Régis d'Audeville

Partager par emailImprimer

Derniers articles