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Henri Barda aux Festival Piano aux Jacobins - Embrasement poétique - Compte-rendu

La parution d’un enregistrement de concert japonais, en début d’année, a été pour les commentateurs l’occasion de regretter que l’on entende trop rarement Henri Barda en France. C’est pour l’instant la réalité, mais qu’un festival du calibre de Piano aux Jacobins lui ait consacré sa soirée inaugurale – toujours symbolique – pourrait bien signifier que le vent tourne… Car il est tout simplement impossible aujourd’hui pour des mélomanes épris de grande tradition pianistique – et partant pour les organisateurs de concerts - de faire l’impasse sur un artiste aussi singulier, sur un jeu aussi racé.

On déconseille rigoureusement Henri Barda aux buveurs d’eau tiède. C’est un interprète, au sens le plus total du terme - il a beaucoup médité l’exemple d’Horowitz - ; il est de ceux qui choisissent, c'est-à-dire promettent – et qui tiennent leurs promesses !

Evidence dès l’attaque des Valses nobles et sentimentales : le Ravel sagement classique n’est pas au programme de la soirée. On est littéralement saisi par un élan et une pensée orchestrale du son qui impriment à l’ouvrage une urgence inattendue, tout comme dans la Sonatine, avec son étourdissante myriade de couleurs. Barda opte pour des tempi étonnamment vifs ? Sans doute, mais la phrase musicale est conduite avec une telle fermeté, sans un seul trait « boulé », que l’on ne peut que rendre les armes face à tant d’intensité. Admirable, la sonorité ne cède rien au narcissisme. Pas de temps à gâcher avec ce genre de facilité quand le parti est pris de déchaîner un tel embrasement poétique.

Et ce Tombeau de Couperin… On a la chair de poule en repensant à la Toccata finale. Hommage comme dans toutes les autres pièces à la mémoire d’un ami fauché par cette guerre que Ravel a vue de si près… Pas un instant Barda ne l’oublie ; la noire fureur qui porte sa Toccata préfigure La Valse.

Après une telle première partie, faut-il préciser que l’on attend avec impatience l’Opus 28 qui occupe la seconde ? Des Préludes qui, dès le n°2 pareil à un halètement péniblement contenu, font comprendre que ce Chopin-là « ne se la raconte pas » ; font physiquement sentir que les parques sont prêtes à trancher les fils, pour faire référence à la belle image de Claudio Arrau. La musique sait ce qui l’attend…

Tragique avancée. L’irrépressible écoulement ne contrarie cependant pas la ponctuation du propos : quelle admirable façon, par exemple, de prendre le temps d’accorder tout son poids expressif à la demi-pause coiffée d’un point d’orgue qui précède les trois accords conclusifs du n°4… Un détail, mais… c’est là que se cachent les secrets et la réussite d’un cycle dont Henri Barda tend l’arche avec une violence et – formidable narrateur qu’il est - un art des caractères et des transitions que l’on n’est pas prêt d’oublier.

Public parfois bousculé dans ses habitudes mais heureux d’avoir partagé la soirée avec un Grand. La preuve : quatre bis chopiniens, dont une Berceuse brûlante de fièvre.

Alain Cochard

Toulouse, Cloître des Jacobins, 4 septembre 2012

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Photo : J-C Meauxsoone
 

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