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Herbert Schuch, Florent Boffard et Andrei Korobeinikov en récital au Festival Radio France Occitanie Montpellier – Révolutions pianistiques – Compte-rendu

Terrain de bien des chambardements, la musique de piano ne pouvait échapper à l’attention du Festival de Radio France Occitanie Montpellier, cette année bâti autour du thème Révolution(s). Une belle journée de piano attendait les auditeurs à la salle Pasteur avec successivement Herbert Schuch (photo), Florent Boffard et Andrei Korobeinikov.

La France connaît trop peu Herbert Schuch (né en 1979), artiste allemand d’origine roumaine que les salles et les orchestres parisiens ignorent largement(1), préférant l’éternel retour des mêmes ... Heureusement que des festivals tels que le Lille Piano(s) Festival, Piano aux Jacobins ou, en l’occurrence, Montpellier viennent réparer un peu de la négligence envers un magnifique interprète.
Révolution ? La dernière sonate de Beethoven, donne la mesure de celle accomplie par le compositeur dans une forme qu’il sut pousser jusqu’à un vertigineux point d’extension. Avant se s’attaquer à l’Opus 111, Schuch explore la Sonate en ut mineur Wq 65:31, H 121 de CPE Bach. Sûrement pas l’ouvrage pour clavier le plus intéressant du « Bach de Hambourg », mais l’interprétation séduit néanmoins par sa vitalité rythmique, en particulier dans un Allegro scherzando conclusif où la luminosité le dispute à l’étonnement.
L’enchaînement s’effectue sans heurt avec une Sonate en ut mineur K 37 de Scarlatti vivante et élancée, suivie du K 398. Secrète, méditative, subtilement timbrée, comme suspendue à un rêve, cette Sonate en ut majeur fait vraiment regretter la brièveté de la partie scarlattienne du programme.
Musicien rétif à tout effet facile, Schuch n’opte pas l’entrée en matière la plus péremptoire qui se puisse imaginer dans le Maestoso de la Sonate n° 32, mais la cohérence, la clarté, l’intelligence de son jeu – servi par une pédalisation subtile –  s’imposent ensuite avec évidence. Et quelle merveille que le second mouvement ; cette Arietta volontairement détimbrée – déroutante pour bien des oreilles, on le conçoit – ; pareille à des limbes gris d’où surgissent des variations que l’interprète hisse jusqu’à de magiques et exaltants éthers.

Florent Boffard © DR

La seconde école de Vienne et Bartók ne pouvaient faire défaut au thème des révolutions. Ils reviennent à Florent Boffard, autant dire à un artiste qui évolue dans ce répertoire comme un poisson dans l’eau.
L’héritage du XIXe pèse certes sur la Sonate de Berg mais, plutôt que cultiver la touffeur post-romantique, le pianiste mise sur la clarté des lignes, la tension expressive. Prélude idéal à un récital que prolongent sept des Quatorze Bagatelles op. 6 de Bartók (nos 1, 2, 3, 4, 7, 8 & 14), dont les caractères sont ici « affûtés » avec une formidable acuité.
La réussite n’est pas moindre dans les Variations op. 27 de Webern : la densité et la rigueur de la construction vont de pair avec une intense poésie sous les doigts de Boffard. Rien à exclure, rien de faiblard dans son récital, pourtant, s’il fallait ne retenir qu’une œuvre, ce serait sûrement la Suite op. 25 de Schœnberg, emportée dans une véritable jubilation de la série et dont chaque épisode prend l’allure d’un ballet-minute. Au terme d’un tel parcours la 1ère Sonate de Boulez fait figure d’aboutissement logique, surtout menée de façon aussi acérée et intense. Magistral !
 

Andrei Korobeinikov © Carole Bellaïche
 
Piano et révolution ? Liszt, par son apport essentiel à la virtuosité pianistique et sa conception symphonique de l’instrument, s’imposait ; Andrei Korobeinikov en a été le porte-parole. La Grande Fantaisie de concert sur des airs espagnols (1845), rare dans les programmes, tient lieu de – copieuse – entrée en matière. Bien que, par endroits, on la sente un peu « jeune » sous les doigts du Russe, la vaste pièce est conduite avec une incontestable maestria. Reste que faute de plus d’imagination et d’ivresse dans la virtuosité l’affaire tourne quelque peu en rond. L’ouvrage, bavard, n’est pas le plus inspiré de Liszt, tant s’en faut ; plus de fantaisie de la part de l’exécutant ne saurait lui faire de mal – on se prend à rêver de ce qu’un Alexander Paley, autrefois habitué du festival de Radio France, nous offrirait ici ...
Les Sonnets de Pétrarque nos 104 et 123, menés de façon plutôt neutre, assurent la transition avec la Sonate en si mineur. Korobeinikov s’engage ? Assurément, mais sa théâtralité tombe vite dans le tape-à-l’œil, l’exacerbation des contrastes dynamiques prend le pas sur la diversification des couleurs et sur la tension, et le taux de glucose grimpe fâcheusement dans les passages les plus délicats ... Le résultat, passablement décousu, nous laisse plus que réservé. Visiblement emballé par les décibels et les effets de manche, le public réserve une ovation au pianiste, qui le gratifie de deux honorables Schubert/Liszt (Auf dem Wasser zu singen, Erlkönig).

Alain Cochard

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(1) On n’oublie pas toutefois que l’Auditorium du Louvre a reçu Herbert Schuch en 2011, en récital et en musique de chambre.

Montpellier, salle Pasteur, 23 juillet 2017

Photo Herbert Schuch © herbertschuch.com

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