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Hippolyte et Aricie au Palais Garnier - Soleil noir - Compte-rendu

Retrouvant chez lui les Enfers, Thésée bout et se torture alors qu’un divertissement saisit la scène. Vrai moment de théâtre muet et quasi immobile. Thésée, comme à la création de cette production au Capitole en 2009, c’est Stéphane Degout, baryton noble, qui au fil du temps prend un grave éloquent et nous évoque irrésistiblement Ernest Blanc. Pour son Thésée vaillant et meurtri, le spectacle se recommanderait par lui seul.

Mais il y a les autres, tous les autres. Si Topi Lehtipuu est mal à l’aise dans la tessiture d’Hippolyte, gêné sur le passage, incertain de ses appuis, ses mots sont toujours sentis, et surtout sensibles, et son dialogue avec Phèdre vous cloue sur place lorsqu’il le parle d’un mot. Admirable pour le style, et miroir implacable d’éclat pour la Phèdre terrorisée, perdue tout de suite, d’une Sarah Connolly qui tranche sur toute la troupe. Ivan Alexandre ne fait rien d’autre que suivre les mots que Pellegrin et la musique que Rameau lui ont donnés, personnage moderne dans un monde mythologique, tout comme son Thésée de mari. Mais Sarah Connolly force les conventions et éclate le cadre, elle est Phèdre, dévorée, titubante et en cheveux, comme jetée hors d’un lit de cauchemar lorsqu’elle comprend qu’Hippolyte a péri. Deux gestes suffisent à l’actrice consommée, mais c’est d’abord la voix, longue, moirée, et dure pourtant, où passe un souvenir de la Phèdre de Janet Baker (où bien l’on rêve ?).

Avec son soprano haut et clair, son timbre de diamant, Anne-Catherine Gillet est demeurée une Aricie aussi poétique et aussi désarmante que déjà à Toulouse, avec ces voyelles timbrées, cet art du mot en musique qui font regretter de ne pas l’entendre plus souvent dans le répertoire baroque. Andrea Hill fait hélas une Diane justement chiche en mots, perchée sur sa lune aurait-elle peur ? Mais son timbre de lait se délecte. Sa Grande Prêtresse – impeccable Aurélia Legay – a plus de langue qu’elle.

Savoureuse Oenone de Salomé Haller. Les autres sont aux Enfers : Marc Mauillon, Tisiphone implacable, fait froid dans le dos, François Lis fait tonner son Pluton – et en Troisième Parque le timbre tranchant de Jérôme Varnier lui répond, étonnant doublé de basses françaises nobles, paire magnifique. Quel Luxe ! Surtout si l’on ajoute pour les Parques Aimery Lefèvre, déjà à Trézène un Arcas saisissant, et Nicholas Mulroy.

C’est aux Enfers qu’on comprend où veut en venir Ivan Alexandre. Sa régie, toujours portée par une direction d’acteur sensible, n’est pas une reconstitution malgré les toiles peintes, les décors à coulisses, les costumes et la gestique inspirés de l’époque, mais une échappée poétique, dans le temps arrêté de la Tragédie lyrique, en soi déjà un exotisme puissant, mais aussi dans un univers onirique. Cocteau n’est jamais loin. La lumière est plus noire qu’à Toulouse (la grande scène de Garnier en disperserait-elle la nacre ?), le ton général plus dramatique, le sentiment plus mélancolique. Et cela se sent dans la fin refermée doucement sur la délicieuse rossignolade de Jaël Azzaretti, amour mutin. Une tendresse au lieu de la joie, comme c’est bien vu. Car il n’y a pas de raison de se réjouir, le drame a bien eu lieu.

Broutilles : les danses de Natalie van Parys flottent encore un peu, elles se resserreront. Bémol : Emmanuelle Haïm met ses enfers dans le coton et fait ailleurs toujours joli. Il y avait plus de drame à Toulouse, l’orchestre y était plus précis.

Reparti dans la nuit, on se repasse la soirée, et les images nous assaillent, comme, l’irréel Mercure et sa traîne de fumées et d’étoiles (le si tendre et si joli Manuel Nuñez Camelino) ou cet incroyable Neptune émergé de son océan tout au fond du ciel, dont chaque mot vous claque dans l’oreille : encore une fois le fabuleux Jérôme Varnier. On aimerait bien avoir un livre de ce spectacle, des vues des décors irréels d’Antoine Fontaine, mais bonne nouvelle, on en aura une captation, signée Olivier Simonnet !

Jean-Charles Hoffelé

Rameau : Hippolyte et Aricie - Paris, Palais Garnier, 9 juin,
Prochaines représentations les 13, 17, 19, 22, 24, 27, 29 juin, puis les 1er, 4, 7 & 9 juillet 2012.
www.operadeparis.fr

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Photo : Opéra national de Paris/ Agathe Poupeney
 

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