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« Il y a une place à reprendre dans le répertoire français » - Une interview de Jean-Marc Bador, directeur général de l’Orchestre National de Lyon

Après L’Orchestre de Bretagne, puis l’EOP (qu’il a contribué à rebaptiser Orchestre de chambre de Paris), Jean-Marc Bador a pris la direction de l’Orchestre National de Lyon à la rentrée 2012. Il répond aux questions de Concertclassic.

Qu’est-ce qui vous a convaincu de quitter Paris pour venir diriger l’Orchestre National de Lyon ?

Jean-Marc Bador : « Il y a trois raisons. La première, c’est que je suis l’Orchestre National de Lyon depuis mes jeunes années. J’ai toujours trouvé que c’était un orchestre vraiment de très grande qualité. Une envie de jouer se dégage de lui ; envie qu’on ne ressent pas forcément partout. Ce n’est pas pour rien qu’on a pu dire que c’était le meilleur orchestre de France. Je pense que ça a été vrai. Ensuite, il y a eu des hauts et des bas mais je pense que ce n’est pas loin d’être à nouveau vrai. La deuxième raison, c’est l’existence d’un lieu attaché à l’orchestre. L’ONL est le seul orchestre symphonique qui possède sa salle en France, les salles de Lille ou de Bordeaux étant magnifiques mais partagées avec d’autres structures. Enfin, c’est l’ambition culturelle de cette ville que j’ai pu mesurer lors des discussions avec les élus. J’ai senti qu’il y avait une véritable ambition internationale, malgré une conjoncture difficile. C’est une conjonction assez rare que de trouver ces trois points réunis.

Quelles qualités musicales particulières trouvez-vous à cet orchestre ?

J.-M. B. : Beaucoup d’orchestres ont des habitudes de travail assez latines, c’est-à-dire que le temps de progression entre les répétitions et le concert est assez long. L’Orchestre national de Lyon fonctionne presque sur un modèle anglo-saxon, et pas seulement depuis l’arrivée de Leonard Slatkin comme directeur musical. C’est un peu dans ses gènes. Il est très prêt dès les premières répétitions. Les chefs invités font d’ailleurs souvent ce constat. C’est vraiment un orchestre avec un très haut niveau de professionnalisme. De façon plus personnelle, j’ai géré jusqu’ici des orchestres de chambre de 45 musiciens. Donc je savoure aujourd’hui les programmes symphoniques avec le son d’un grand orchestre, notamment dans le répertoire français, où l’on sent que l’ONL a vraiment ses racines.

Avez-vous déjà dessiné des axes de programmation avec Leonard Slatkin ?

J.-M. B. : Oui, les quelques heures que nous avons passées ensemble avant que je ne prenne ma décision ont été fondamentales. Je sais qu’une maison où le directeur général et le directeur musical ne jouent pas une partition à quatre mains, est une maison qui ne peut pas fonctionner. C’était donc le point clef de mon arrivée ici, et nous nous sommes complètement retrouvés sur la musique française. C’est un répertoire qui n’est plus vraiment identifié à un orchestre aujourd’hui. Il l’a été beaucoup avec Plasson à Toulouse. Mais Toulouse a un peu évolué vers la musique russe, et très bien d’ailleurs. Je trouve donc qu’il y a une place à reprendre pour un grand orchestre national défenseur du répertoire français. On avait déjà avancé avec Leonard Slatkin sur l’intégrale Ravel (pour le label Naxos), avant même que je ne prenne mes fonctions. Cet été, nous allons aussi restaurer l’orgue de l’Auditorium, sur lequel a eu lieu la création française de la 3ème Symphonie de Saint-Saëns (il s’agit de l’orgue inauguré au palais du Trocadero en 1878. D’abord transféré au palais de Chaillot en 1937, il a été installé à l’Auditorium de Lyon en 1977, ndlr). Nous devrions ensuite enregistrer cette œuvre, pour la première fois sur cet instrument.

Un autre point vous relie avec Leonard Slatkin, c’est votre admiration commune pour Ernest Fleischmann (1924-2010)…

J.-M. B. : En effet, il a un peu été mon mentor. Fleischmann a dirigé pendant plus de vingt-cinq ans l’Orchestre de Los Angeles. Il était venu écouter par hasard l’Orchestre de Bretagne lorsque j’y travaillais. Il avait fait les éloges de l’orchestre et nous avions sympathisé. Il m’a beaucoup aidé à comprendre le milieu et à me mettre en contact avec un certain nombre de grands artistes qui ne seraient jamais venu en Bretagne sans son soutien. J’éprouvais beaucoup d’affection pour cet homme qui avait Giulini ou Barenboim dans son carnet d’adresses mais restait toujours à la recherche de nouveaux talents, même après son départ à la retraite. Slatkin le connaissait bien pour avoir dirigé le Philharmonique de Los Angeles. C’est un trait d’union entre nous.

Comptez-vous aussi redéfinir les tournées internationales et le rayonnement de l’orchestre ?

J.-M. B. : Oui. Au cours des dernières années, l’Orchestre a été proposé tous azimuts un peu partout, mais pas de façon assez structurée à mon avis. Plusieurs agents proposaient l’Orchestre aux mêmes personnes ce qui a créé beaucoup de confusion. Du coup les tournées internationales se sont amoindries. Nous sommes en train de redéfinir ces territoires avec Leonard Slatkin et de beaux projets se dessinent sur la Chine, le Japon, la Russie ou l’Europe centrale. Quant aux Etats-Unis, ils sont encore un territoire compliqué du fait de l’économie du pays.

La jauge de 2100 places de l’Auditorium est-elle un atout ou un handicap ? Impose-t-elle un type de programmation ?

J.-M. B. : Si on veut faire une saison avec des intégrales Beethoven, Tchaïkovski ou les grandes œuvres de Ravel, ça marche. Mais si on veut conserver à l’Orchestre sa vocation de service public, c’est plus compliqué. Pour continuer à faire de la création, de la découverte de répertoire, il faut travailler intelligemment les couplages de répertoire et la relation du public avec les compositeurs d’aujourd’hui. Cette maison a une histoire extraordinaire avec la musique contemporaine, il faut lui donner un second souffle, en travaillant la forme des concerts et l’ouverture du lieu. De ce point de vue, il y a des choix de programmation qui n’ont peut-être pas été toujours judicieux. Faire venir Pierre-Laurent Aimard pour jouer du Walter Benjamin en septembre par exemple, couplé avec le Pelléas de Schoenberg, ce n’est peut-être pas la meilleure façon de lui faire rencontrer le public. Je continue de penser qu’il est important d’avoir des lignes de force dans une saison, et de mieux accompagner les concerts. C’est ce que nous nous employons à faire pour la saison prochaine.

Propos recueillis par Luc Hernandez, le 18 février 2013

www.auditoriumlyon.com

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Photo : JB Millot
 

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