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Iphigénie en Tauride au Palais Garnier – Bientôt un classique du genre ? – Compte-rendu

 
En 2006, Krzysztof Warlikowski mettait en scène Iphigénie en Tauride – son premier opéra – à la demande de Gerard Mortier qui avait été séduit par son travail au théâtre. Diversement accueillie à l’époque, nous n’imaginions pas qu’une partie du public puisse réagir si vivement à cette production, une décennie plus tard et après les nombreux spectacles réalisés depuis par le Polonais dans la capitale.
 

© Gerguana Damianova / Opéra national de Paris

C’était sans compter sur les « garants » d’un ordre ancien, sur certains « « gardiens » de convenances et de conventions qui nous échappent tant ils ne font pas honneur au public parisien réputé difficile certes, mais que nous espérions moins conservateur… Pour provocante qu’elle soit, cette transposition de la mythologie dans une maison de retraite pour riches héritières, dont l’une se souvient de ce que fut son existence, n’en est pas moins audacieuse dans sa narration comme dans sa représentation.
Tout l’univers de Warlikowski est là : ses fantasmes, son goût pour le dédoublement, le travestissement, la présence de l’image, bref ce qui fait son style et que parachèvent ces coûteux décors où trônent systématiquement lavabos, douches et baies vitrées qui sont devenues sa signature de L’affaire Makropoulos au Tramway d’après Tenessee Williams, en passant par la Medée de Cherubini ou encore Phèdre(s). Que l’on n’adhère pas à ce type de démarche est une chose, mais refuser d’y voir une vraie réflexion en est une autre …
 
Vieille aristocrate à la fière allure mais à la démarche hésitante, ou ingénue perverse toute de satin vêtue, Véronique Gens est une Iphigénie inoubliable qui allie à la beauté du chant une parfaite adéquation scénique. Convaincue par la proposition de son metteur en scène (à la différence de la première interprète, Susan Graham, que l’on avait sentie rétive), elle est un instrument merveilleusement malléable sans perdre pour autant sa forte personnalité : si « O toi qui prolongeas mes jours » nous transporte par l’homogénéité des registres, la netteté de la diction et la sculpturale beauté de la ligne, « O malheureuse Iphigénie » chantée archet à la corde comme une douce complainte, jambes dans le vide au-dessus de la fosse, constitue le sommet de la soirée.
Après Alceste avec Py, cette nouvelle incursion gluckiste devrait donner des idées à nos directeurs de salle … Etienne Dupuis (Oreste) et Stanislas de Barbeyrac (Pylade) rivalisent eux aussi de lyrisme et d’émotion, Thomas Johannes Mayer se fourvoyant dans le court rôle de Thoas, qu'il hurle plus qu'il ne le chante, sous la baguette très personnelle de Bertrand de Billy. Le chef privilégie la douceur, la délicatesse et la suavité du langage gluckiste, à la frénésie qu’aimait y apporter un Minkowski.
 
François Lesueur

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 Gluck : Iphigénie en Tauride -  Paris, Palais Garnier, 2 décembre ; prochaines représentations les 7, 9, 12, 15, 19, 22 & 25 décembre 2016 / www.concertclassic.com/concert/iphigenie-en-tauride
 
Photo © Gerguana Damianova / Opéra national de Paris

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