Journal

Jakob Lenz de Wolfgang Rihm au Festival d’Aix-en-Provence 2019 – Un gigantesque électrochoc – Compte-rendu

En 2014, la production de la Staatsoper de Stuttgart de Jakob Lenz, opéra de chambre de Wolfang Rihm, avait connu un immense succès, prolongé l’année suivante par le Prix Faust. Donnée ensuite à Bruxelles et à Berlin, elle ne l’avait jamais été en France jusqu’à ce dernier vendredi soir au Grand Théâtre de Provence. Une soirée événement.
 
S’il fallait qualifier l’état dans lequel nous nous trouvions, et nous n’étions pas le seul, à l’issue de la première de Jakob Lenz, nous pourrions dire qu’il était celui d’un humain qui vient de passer une heure et vingt minutes en apnée. Le temps d’encaisser un gigantesque électrochoc. Le temps, aussi, d’assister, sans pouvoir lever les yeux du plateau, à la déchéance progressive, jusqu’à devenir totale, du poète schizophrène errant à la recherche de sa bien-aimée disparue. Dans un environnement forcément gris, où le granit côtoie le bois, où l’eau ruisselle entre les rochers et où les rayons d’une bibliothèque s’apparentent à des cases de catacombes, la metteuse en scène Andrea Breth installe les scènes de folie ; d’abord presque ordinaires, elles deviendront progressivement insoutenables, le paroxysme étant atteint aux cours des deux derniers tableaux où la violence et le désespoir nous bouleversent.
 

© Patrick Berger
 
Un spectacle servi, certes, par une mise en scène hors du commun, mais d'abord par la partition, d’une extrême richesse et stylistiquement très variée, écrite par Wolfgang Rihm en 1977-1978. A la tête de l’excellent Ensemble Modern, Ingo Metzmacher livre une lecture qui, pour être puissante, n’en demeure pas moins nuancée et très précise. Les six voix réunies pour encadrer l’action et faire vivre les fantômes dans l’esprit de Lenz, celles de Josefin Feiler, Olga Heikkilä, Camille Merckx, Beth Taylor, Dominic Große Et Eric Ander, sont rigoureuses tout en demeurant parfois diaphanes et très aériennes. Des « voix » qui prennent aussi leur part au succès de la mise en scène.
Puis il y a un trio phénoménal composé du baryton Georg Nigl (photo à g.), du baryton basse Wolfgang Bankl et du ténor John Daszak (photo à dr.). Dans le rôle-titre, le premier subjugue la salle. Son investissement vocal et physique est total et nous basculons avec lui dans la démence, nous souffrons à ses côtés ; psychiquement, l’artiste doit être fort solide pour arriver à livrer une telle interprétation. L’humanité c’est celle du pasteur Oberlin incarné par Wolfgang Bankl, impuissant face aux questionnements de Lenz mais dans l’empathie pour le poète. L’ami, Kaufmann, incarné par John Daszak, est, lui, plus violent et contraint par sa volonté d’arriver à ramener Lenz à la raison. Les trois, comédiens hors pair, font aussi preuve de qualités vocales exceptionnelles. Ce Jakob Lenz est, assurément, un premier et immense coup de cœur de cette 71ème édition du Festival d’Aix. Retransmission en direct sur France Musique le 12 juillet.

Michel Egéa

Rihm : Jacob Lenz – Festival d’Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, 5 juillet, prochaines représentations les 8 et 12 juillet 2019 (20h) // festival-aix.com
 
 
Photo © Patrick Berger

Partager par emailImprimer

Derniers articles