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​Jodie Devos et le Jeune Orchestre Rameau au Festival Berlioz 2023 – Faites l’amour, pas la guerre – Compte-rendu

 
Evidemment, Berlioz ne put sans doute jamais assister à une seule représentation d’une œuvre de Rameau, puisqu’il fallut attendre encore plusieurs décennies après sa mort pour que l’Opéra de Paris remette à l’affiche Hippolyte et Aricie. Du moins avait-il pu lire son traité d’orchestration, et l’on peut supposer qu’un air comme « Tristes apprêts », par sa grandeur tragique, aurait touché en lui l’amateur de Gluck. Mais qu’aurait-il pensé des airs virtuoses du Dijonnais, lui qui reprochait à Mozart le moindre ornement dans les arias de Don Giovanni ? Mieux vaut sans doute ne pas trop se poser la question, pour savourer à sa juste valeur le beau concert Rameau présenté en ce deuxième soir de l’édition 2023 du festival de la Côte-Saint-André.
 
Bruno Procopio © Jean-Baptiste Millot
 
Le Jeune Orchestre Rameau (1), composé d’instrumentistes frais émoulus de conservatoires du monde entier, encadrés par des chefs de pupitres aux tempes nettement plus grisonnantes, se consacrait au compositeur qui lui donne son nom, mais pas seulement. En effet, aux côtés d’une large sélection d’ouvertures, danses, chaconnes et airs tirés d’opéras célèbres ou non, des Indes galantes à la plus rare Naïs, de Castor aux Sybarites, le programme inclut aussi toute une série d’extraits d’Hercule mourant, de Dauvergne, opéra créé en 1761, alors que Rameau venait de donner Les Paladins et que ses dernières années de vie seraient consacrées aux Boréades. Hercule mourant est un excellent opéra, comme l’avait montré en 2011 sa résurrection par Christophe Rousset, et Dauvergne un très bon compositeur, auquel on ne peut guère reprocher que de n’être pas Rameau, dont il imite souvent les formes et les harmonies, mais dont il n’a pas le génie caractérisé par un constant jaillissement d’inattendu (le rapprochement entre les « airs des Africains » d’Hercule mourant et l’« air pour les esclaves africains » des Indes galantes est presque cruel, tant Rameau y déploie d’invention étonnante).

Sans gesticulations inutiles, le chef et claveciniste Bruno Procopio dirige avec autant de rigueur que d’enthousiasme cette musique dont il met en valeur toute l’originalité et la science. Les membres du Jeune Orchestre Rameau déploient un zèle bienvenu, avec une sonorité tout à fait séduisante, aussi bien dans les accents belliqueux du « Bruit de guerre » de Dardanus que dans l’imitation des musettes conçue pour les vents dans les airs légers. Car ce programme nous fait à plusieurs reprises passer de la guerre à la paix, Mars et l’Amour y régnant tour à tour, même si Cupidon semble le plus souvent prendre le dessus.
 
Pouvait-il en être autrement dans la mesure où la dimension vocale de cette musique est assurée par Jodie Devos (photo) ? Loin des suraigus de Lakmé, mais sans renoncer aux vocalises rapides, la soprano belge propose un parcours où les rôles d’amours ou de bergères dominent naturellement, mais elle ne se borne pas aux rôles que Rameau a pu composer pour la voix légère et agile de Marie Fel : en effet, à côté de morceaux rapides comme le « Ranimez vos flambeaux » du prologue des Indes galantes, elle choisit aussi des airs à la tessiture plus centrale où elle peut donner libre cours à son expressivité, avec une diction toujours irréprochable. Echappant à la thématique « Guerre et paix », l’air de la Folie de Platée conclut ce florilège, avant que l’orchestre conclue sur l’admirable chaconne de Naïs, dont l’Ouverture avait ouvert la soirée.
 
Chaleureusement applaudis, les artistes concèdent deux bis, reprenant deux morceaux déjà interprétés : Jodis Devos propose « L’amour vole », air d’Amélite au dernier acte de Zoroastre, où « chansonnettes » rime avec « musettes » ; l’orchestre, lui, n’hésite pas à rejouer toute la superbe chaconne finale des Indes galantes.

 
Laurent Bury
 

(1) jeuneorchestrerameau.com

Chapelle de la fondation des Apprentis d’Auteuil, La Côte-Saint-André, lundi 21 août / Festival Berlioz, jusqu'au 3 septembre 2023
www.festivalberlioz.com/

Photo © Domique Gaul

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