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Portrait baroque - José de Nebra (1702-1768) – L’âge d’or de la zarzuela baroque
Dans le cadre de sa foisonnante programmation, le Teatro de la Zarzuela de Madrid, qui étrenne un nouveau directeur, Daniel Bianco (succédant à Paolo Pinamonti, et ancien proche collaborateur d’Emilio Sagi), et un nouveau directeur musical, Óliver Díaz, présente Iphigenia en Tracia de José de Nebra, du 15 au 27 novembre prochains. Un spectacle à ne pas manquer, pour la découverte d’une œuvre essentielle, voire majeure, du répertoire lyrique baroque espagnol, que l’on ne rencontrera certainement nulle part ailleurs.
Paradoxalement, José de Nebra (photo) a pourtant connu une sorte de reconnaissance fugace en France, à une époque où la diffusion du répertoire de la zarzuela baroque n’en était qu’à ses balbutiements : avec le coffret assez remarqué, paru alors en 1996 sous l’étiquette Auvidis-Valois, de l’enregistrement de Viento es la dicha de Amor par les soins de Christophe Coin. Depuis lors, bien d’autres pages gravées de Nebra sont venues s’ajouter, dans la foulée générale de l’engouement du mouvement baroqueux, confortant une meilleure approche de ce compositeur capital du XVIIIe siècle espagnol. Mais José de Nebra demeure toujours, au-delà les Pyrénées, un musicien qu’il convient de présenter.
Nebra dans sa lignée
Né le 6 janvier 1702 à Calatayud, petite ville de l’Aragon sur la route de Madrid, Nebra devait décéder le 11 juillet 1768 dans la capitale espagnole, où il avait accompli toute sa carrière. Il forme le lien, dans le domaine lyrique, avec Juan Hidalgo (1614-1685), le grand initiateur de l’art théâtral lyrique ibérique, Sebastián Durón (1660-1716) qui devait succéder (1) et Antonio Literes (1673-1747). Il fut alors en concurrence directe avec ce dernier, mais aussi avec des compositeurs italiens émigrés, eux aussi lancés dans la zarzuela (Jaime Facco ou Francisco Corradini, hispanisés jusques et compris dans leurs prénoms). Mais avec succès, puisqu’il supplantera l’un et les autres auprès des faveurs des seigneurs, de la cour et du public. Antonio Rodríguez de Hita (1722-1787) devait ensuite reprendre le flambeau lyrique, mais pour une manière réformée de la zarzuela (sur des sujets davantage de tous les jours, à un moment où Grétry et Mozart font de même).
C’est donc un musicien qui s’inscrit dans une grande lignée, pour représenter, au milieu du XVIIIe siècle, une forme d’apogée florissante de la zarzuela (en Espagne, cela s’entend, mais aussi au Portugal et dans les Amériques hispaniques). Une soixantaine d’œuvres lyriques témoignent de son importance, mais aussi une centaine de pages religieuses et de nombreuses pièces pour clavier. Puisqu’il s’agit, à l’instar d’autres compositeurs de son temps, espagnols ou non, d’un musicien partagé entre art sacré et théâtre profane, avec une expérience puisée à la pratique instrumentale, orgue et clavecin.
Mais dans son cas, s’ajoute une spécificité : car il appartient à une famille de musiciens depuis au moins trois générations, à la façon des Bach ou des Couperin, et qu’il partagera son art musical avec ses deux frères. Son père, organiste, l’a donc formé. Un solide bagage à en croire le poste qui lui échoit, à seulement 15 ans, comme organiste du monastère de Las Descalzas Reales à Madrid. Succèdent alors plusieurs charges officielles auprès des puissants et d’institutions royales. À partir de 1723, sa place à la cour et auprès de compagnies madrilènes privées lui offre de se mettre au service d’une intense activité théâtrale. En 1751, toutefois, nommé vice maestro de la Capilla Real (la Chapelle Royale), il cesse toute velléité lyrique pour se dédier à la composition d’œuvres religieuses, afin de suppléer la perte des partitions dans l’incendie survenu en 1734 de l’Alcazar de Madrid. Il se consacre également à l’écriture de pièces instrumentales et à l’enseignement, avec comme élèves l’infant d’Espagne ou l’appelé à devenir célèbre Padre Antonio Soler, jusqu’à sa mort.
Maria Bayo ( Iphigenia) pendans les répétitions au Teatro de la Zarzuela © Javier de Real
Une œuvre prolifique
Sa production théâtrale, une bonne quinzaine d’opéras et zarzuelas, à une époque où se distinguent peu les uns des autres, mais aussi des pièces plus brèves, comedias, autos sacramentales, sainetes, s’étend ainsi sur un peu moins de trente ans, pour 68 ouvrages recensés (par María Salud Álvarez, dans son ouvrage José de Nebra Blasco, Vida y obra). Ce qui indique la profusion de notre compositeur, sur une durée de temps assez limitée. Hélas ! à notre époque il faut compter avec de nombreuses pertes, en raison de différentes circonstances et de l’état de recherches musicologiques encore en exploration. On retiendra ainsi parmi ses grandes œuvres lyriques : Amor aumenta el valor (Amour redonne du courage), daté de 1728, Vendado es amor, no es ciego (Amour a les yeux bandés, il n’est pas aveugle), de 1744, Iphigenia en Tracia, de 1747, Donde hay violencia no hay culpa (Où il y a violence, il n’y a point faute), de 1749, El rapto de Ganímedes (L’enlèvement de Ganymède), de 1750, et Viento es la dicha de Amor (« Le bonheur d’Amour est Vent », qui met en scène le dieu du vent Zéphyr et Cupidon), déjà cité, de 1743-1752. Autant d’ouvrages dont le disque porte la trace, et qui bénéficient de nouvelles éditions de partitions. On constate aussi à l’énoncé de ces titres, que les sujets restent allégoriques ou mythologiques, sans exception. Comme il prévaut alors dans le reste de l’Europe lyrique (Italie et France, quand l’Allemagne et l’Angleterre ne figurent qu’un appendice de l’Italie).
Quant à leur esthétique musicale, elle se trouve à la croisée de chemins : celui de l’héritage et de l’évolution de la musique espagnole, mais aussi, phénomène nouveau, d’influences venues d’ailleurs. Se reconnaissent ainsi des modèles de déclamation chantée espagnole remontant au siècle précédent (tonos, coplas…), mais enrichis du classicisme naissant avec une orchestration étoffée et une sorte de passage entre les styles napolitains et espagnols. L’aria da capo prend ainsi une prééminence, entre des chœurs vibrants. Mais pour donner mieux place aux sentiments et aux situations : ces personnages mythologiques « tombent amoureux, se haïssent, se perdent, se retrouvent » (selon Alicia Lázaro, autre spécialiste).
Les interprètes sur scène sont appelés à chanter, mais aussi à déclamer, jouer et danser. Des artistes complets ! Et quasi exclusivement féminins, y compris pour camper des personnages masculins (travestis), comme de règle alors dans l’art lyrique espagnol. Il y a donc un ton particulier : aristocratique mais aussi enjoué, savant mais savoureux, dramatique et farceur, émaillé parfois de scènes d’une réelle grandeur. On pourrait ainsi penser à un Haendel mâtiné de Pergolèse, avec quelques traits à la Rameau, pour prendre des références dans l’Europe lyrique du temps. Mais le tout s’inscrit sous une couleur ibérique bien affirmée, dans des emprunts aux tournures autochtones qui structurent en rappel, et au final irréductible.
Iphigenia en Tracia
Attardons-nous davantage sur l’ouvrage qui nous occupe, et occupe la prochaine production du Teatro de la Zarzuela. Iphigenia en Tracia, ou plus précisément dit : Para obsequio de la deydad, nunca es culto la crueldad, y Iphigenia en Tracia (titre complet, à rallonge comme fréquemment dans les œuvres baroques, signifiant : « Pour honorer la divinité, la cruauté n’est jamais de mise, et Iphigénie en Thrace »), se fonde, à partir d’un livret de Nicolás González Martínez, sur la mythique légende des Atrides. Le sujet est le même, ou à peu prés, que celui postérieur de plus de trente d’Iphigénie en Tauride de Gluck, l’un et l’autre inspirés d’Euripide. Une histoire tragique aussi… Pour dire que la musique des vingt-quatre numéros, entrecoupés de passages parlés (comme dans toute zarzuela), abonde en scènes lyriques faisant la part belle aux sentiments exacerbés. À travers des éléments variés, qui font alterner passages d’ensemble (ou cuatros), récitatifs et arias souvent de facture italianisante, mais aussi des traits de caractère hispanique, comme des séguedilles ou chants façon villancico. Dans une alternance qui évite toute monotonie, pour atteindre graduellement à la grande inspiration. Ainsi, parmi nos préférences : l’Area a cuatro (air à quatre voix) « Muera un afecto incierto » (Laisse mourir un sentiment inconstant) qui clôt le premier acte (ou première jornada, journée), ou l’Area a dúo (air à deux voix) d’Iphigénie et d’Oreste qui prélude à la fin de la seconde et dernière jornada de la zarzuela.
Pierre-René Serna
(1) voir : www.concertclassic.com/article/sebastian-duron-au-teatro-de-la-zarzuela-de-madrid-le-beau-meconnu
José de Nebra : Iphigenia en Tracia
(mise en scène de Pablo Viar, direction musicale de Francesc Prat, avec María Bayo)
15, 19, 23, 25 & 27 novembre 2016
Madrid, Teatro de la Zarzuela
teatrodelazarzuela.mcu.es/en/temporada/lirica-2016-2017/iphigenia-en-tracia-2016-2017
À écouter :
- Iphigenia en Tracia : par le Concierto Español sous la direction d’Emilio Moreno et la fine fleur du chant baroque espagnol (Glossa)
- Viento es la dicha de Amor : par l’Ensemble Baroque de Limoges sous la direction de Christophe Coin, (Auvidis-Valois, désormais commercialement indisponible, sauf sur internet).
- Amor aumenta el valor : Los Músicos de su Alteza, sous la direction de Luis Antonio González (Alpha 171)
- José de Nebra, « Arias de zarzuelas » : chantés par María Bayo et Al Ayre Español dirigé par Eduardo López Banzo (Harmonia Mundi).
- « Zarzuela barroca » : et entre autres, des airs de Nebra, avec toujours María Bayo, et Les Talens Lyriques dirigés par Christophe Rousset (Naïve).
Mais aussi :
- Stabat Mater et Visperas de confesores (Vêpres de confesseurs) : direction Ángel Recasens (2CD Lauda)
Photo (Portrait de José de Nebra) © DR
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